samedi 28 janvier 2017

Olivia de Havilland : un centième anniversaire passé sous silence.

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Le 9 décembre dernier, comme il se doit, un immense comédien hollywoodien célébra son siècle : Kirk Douglas. Commémoration fortement médiatisée, légitime, au vu du talent de ce grand monsieur, de ses engagements, de sa filmographie...
Mais sait-on que, le 1er juillet 2016, il aurait dû être précédé par la célébration d'une très grande dame du cinéma américain de l'âge d'or ?
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 Force est de pointer du doigt le silence presque général qui - à l'exception d'un petit nombre d'articles dans la presse en ligne ou papier, à connotation plus ou moins conservatrice ou people glamour - a entouré le centenaire d'Olivia de Havilland, cette vedette incontestable du grand écran, soeur de la tant négligée nécrologiquement Joan Fontaine. Même TCM, qui s'était fendue, par exemple en juillet 2008, à l'occasion des seulement 92 printemps de l'intéressée, de la diffusion de The Strawberry Blonde de Raoul Walsh (1941)
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 avec James Cagney et Rita Hayworth, n'a pas réagi. C'eût été l'occasion, par exemple, d'enfin rendre visible Devotion, biopic de Charlotte Brontë que je désespère toujours de voir...
Les soeurs de Havilland sont-elles maudites ? Certains, sur les réseaux sociaux ou ailleurs, ont argumenté à propos de cette absence médiatique que la vieille et vénérable dame préfère la discrétion, le calme. Pas de caméras, pas d'interview, soit ! Mais était-ce une raison pour ne pas diffuser la moindre attoseconde d'une filmographie riche, comportant, outre Autant en emporte le Vent,
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 de nombreux titres où Madame de Havilland partagea la vedette avec Errol Flynn ?
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 Kirk Douglas, lui, a eu son cycle sur TCM, des diffusions filmiques sur Arte... Olivia de Havilland appartiendrait-elle à cette confrérie momifiée de personnalités enterrées de leur vivant dans des abysses d'oubli, tels les académiciens du XIXe siècle Charles Brifaut
 http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k2063601/f2.highres
 et Désiré Nisard,
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qui eurent pourtant droit à de récents romans français bigrement intéressants : Le Censeur de Clélia Anfray pour le premier et Démolir Nisard d'Eric Chevillard pour le second ?  Le premier, de narration classique, dépeint bien le processus d'oubli d'un homme qui fut tout-puissant et fit la pluie et le beau temps sous Charles X. Le second utilise l'arme de la dérision et de l'innovation stylistique et scripturale. 
Mais revenons-en à l'oubli tout autant honteux que révélateur du délabrement culturel de notre monde dont Madame de Havilland fut la victime incontestable en juillet 2016.
Peut-être - sans pour autant chercher midi à quatorze heures - faut-il trouver la raison non dite et non écrite de la non médiatisation consciente des cent ans de l'illustre comédienne en la photo qui tue.
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 Cette image, qu'on trouve sur Wikipedia, représente Madame de Havilland en compagnie d'un des plus controversés présidents des Etats-Unis à l'exception de celui actuellement en exercice. De là à conclure à son adhésion sans faille, inconditionnelle, aux idées éléphantesques du parti de cet homme, il y a un pas que je ne franchirai pas, mais que d'autres ont fait sans se l'avouer... Une fois de plus, nous nous trouvons face à une de ces microcosmiques et inavouables damnatio memoriae dont sont coutumiers nos querelleurs germanopratins (et autres) qui polémiquent sur l'insignifiance dont ils font tout un poème. J'ai mauvais esprit et j'aime à extraire de la fange profonde les causes quintessentielles de ce que l'on nommait au procès de Louis XVI banniffement à vie - je ne dispose pas sur cet ordinateur de la possibilité d'insérer le "s" d'époque ressemblant à un "f" faisant penser à quelque personnage de bandes dessinées s'exprimant sans dentier (à moins qu'il ne soit "quenottes outres", allusion à un gag absolument génial de César de Maurice Tillieux,
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 publié dans Spirou au commencement des années 1970). L'oubli commémoratif de Madame de Havilland
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traduit la profonde petitesse de ces principicules et roitelets picrocholins, leur bassesse inquisitoriale ayatollesque. Ces Torquemada au petit pied se sont érigés en nouveaux censeurs, en nouveaux Charles Brifaut et décident, reclus en leur omphalos parisien (et autre) qui maudire et qui honorer. Ils dénoncent à tout crin, tels ces délateurs de la Rome antique ou ces avocats du diable du premier siècle de notre ère, décriés par le rhéteur Quintilien, qui fustigeait leur éloquence canine ou canina eloquentia. Ils se font ministres-juges de ce qui doit survivre culturellement ou non. Leurs ravages favorisent la montée des démagogues de tout poil.
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Nous verrons qu'il est des cas, des affaires encore plus scandaleux que cet anniversaire escamoté d'une star d'Hollywood dont la gloire n'est absolument pas ternie pour moi. Ce sera l'objet de mon prochain billet...

Prochainement, donc : Octave Mirbeau ou le boycott mémoriel et commémoratif intégral.
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mardi 24 janvier 2017

"Fleur de Tonnerre", premier corbillard cinématographique de l'année 2017.

Par Cyber Léon Bloy.

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Nous l’avons écrit la dernière fois au sujet d’un film d’outre-Atlantique consacré à la grande révolte des esclaves de Virginie de l’an 1831 : il existe de nombreuses cabales en ce monde destinées à briser la carrière d’œuvres sur pellicule. Or, dois-je rappeler qu’en Histoire, les cabales furent choses fort courantes, fort ordinaires, exercées à l’encontre d’opéras, ou de pièces de théâtre ? Racine – le grand Racine lui-même – en fit l’amère expérience avec Phèdre et Marivaux – le pétulant Marivaux – avec Le Petit-Maître corrigé sans omettre toutefois Monsieur Victor Hugo avec Les Burgraves. 
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Sont-ce là prétextes de ma part, opportunités commodes à saisir afin d’exercer ma verve et ma diatribe contre les pignoufs de toute nature ? Non point ! Mon hubris est légitime !
Adonc, attaquons là. Après avoir débecté son ire à l’encontre de The Birth of a Nation, la presse branchue boboïste s’est trouvé une nouvelle victime, une nouvelle proie commode en la personne de Fleur de Tonnerre,
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 adaptation filmée par Madame Stéphanie Pillonca du roman du sieur Teulé Jean, accoutumé à l’immondice critique opposée à sa manière bien particulière de revisiter littérairement l’Histoire. Elle y a déversé à loisir, ad libitum, ad nauseam, à l’envi, des torrents de vomissures extraits de son tonneau des Danaïdes personnel, tonneau aux liquidités et humeurs excrémentielles sans fin ni fond s’il en est.
Icelle presse a frappé un film jà à terre, jà mort, puisque n’ayant disposé en sa première semaine d’exploitation que de soixante-deux copies en tout et pour tout (pour nous limiter au territoire provençal cher à ce bobelin de Charles Maurras aucune à Avignon, aucune à Aix-en-Provence, une seule à Marseille à des horaires d’emblée putrides et malcommodes). Film trop breton pour les Parisiens cosmopolites (la Bretagne constituant pour eux le fin-fond de l’arriération provinciale profonde), trop local, trop daté (ô les costumes haïs !), non projetable en d’autres terres qu’Armor. Qu’importe pour cette gent contre laquelle j’aime à ferrailler qu’il s’agisse d’un portrait filmique fantasmé de la grande criminelle empoisonneuse en série Hélène Jégado.
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Le divorce entre les avis de la presse et les opinions des rares spectateurs ayant eu le privilège de voir Fleur de Tonnerre est si consommé, si considérable, si contrasté, si antinomique, si astronomique, que l’on peut parler au sujet de ce long métrage d’un fossé culturel optimal, final, aussi profond qu’un abysse me laissant pantois d’ébahissement, comme autant de ferments de dislocation de l’unité nationale sous les coups d’un nouveau morcellement du pays digne de celui de l’Etat carolingien déliquescent et picrocholin des IXe et Xe siècles.
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Celles et ceux qui ont pu aimer, apprécier à loisir Fleur de Tonnerre sont en quelque sorte en rupture de ban puisque tombés en dissidence, en sécession culturelle à défaut de territoriale (cela pourrait survenir un jour par les déclinaisons multiples du mot d’Albion exit), nouveaux Boson fâchés vis-à-vis d’une presse parisienne ne représentant plus qu’elle-même, ne se parlant plus qu’à elle-même, à travers son miroir de Narcisse moucheté de crottes d’animalcules gluants. Des unités astronomiques, des parsecs séparent ces Parisiens-là de la province profonde vouée par eux aux gémonies, Parisiens qui n’ont strictement rien compris aux récents événements démagogiques exponentiels ponctuant notre actualité ténébreuse.
Que les salles de cinématographe de Bretagne soient pleines à craquer des admirateurs d’Hélène Jégado, via le roman de Monsieur Jean Teulé,
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 n’a pour ces petits-maîtres au nez coulant de morve tantôt verte, tantôt flavescente de pus, qu’une minime importance. Ils pontifient sans fin, multipliant leurs décrétales, leurs anathèmes fulminés dépréciatifs…
Çà, là, je puis concéder quelques imperfections au film de Madame Pillonca : une approximation de l’adaptation dont la fantaisie semble exclue, un manque criant de moyens, une distribution inégale avec d’improbables comédiens ne provenant pas du sérail, à l’exception de Madame Déborah François, toujours excellente. De même, le climat fantastique et fulgurant du roman se réduit à un tableau voltairien didactique de la superstition autour de la figure folklorique de l’Ankou dont Hélène Jégado se croit la servante.
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La phraséologie dialectique des critiques martèle contre Fleur de Tonnerre le terme dévalorisant de téléfilm, accusation commode, point neuve car déjà usitée vers 1990 lorsque Francis Girod
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 sortit son Lacenaire,
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 lors qualifié d’œuvre aux lumières de téléfilm. Tantôt pour les uns, Fleur de Tonnerre s’apparenterait à un téléfilm de l’ORTF finissante (l’on disait en ces temps dramatique, ce qui était plus noble), tantôt pour les autres à un téléfilm régional fauché de la Trois (même pas breton pour eux à ce qu’il me semble en ma lecture fugitive d’un article mineur en ligne). Non en reste, Le Figaro qualifie bien Fleur de Tonnerre
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 de téléfilm en lui attribuant tout de même une note moyenne. Ce quotidien fort conservateur se dédierait s’il faisait chorus à l’autre presse à laquelle il s’oppose. Et si, par hasard, Le Figaro avait raison ? Si Fleur de Tonnerre était bel et bien un téléfilm, mais exclu de toute diffusion au petit écran car, quoiqu’il fût plus ou moins policier, ne correspondant plus à la ligne éditoriale de France Télévisions, ce, depuis que feu Rémy Pflimlin a ostracisé toute production en costumes antérieurs à 1940 ? Celle qui lui succéda, Madame Ernotte, qui semble avoir des velléités de revenir sur cet interdit insane, a du pain sur la planche : elle devrait balayer au préalable devant sa porte et enfin programmer ce qui est jà tourné, ces deux fameux ultimes épisodes de la saga de Nicolas Le Floch, dont l’un moisit dans un placard depuis bientôt trois années telle autrefois La Duchesse d’Avila.
Tout à ma virulence retrouvée, face à cette eau cabaliste débordant d’un vase de nuit exsudant sa putrescente humeur, je vous invite à lire Fleur de Tonnerre de Monsieur Teulé et à contourner le désert cinématographique entourant son adaptation certes imparfaite par tous les moyens techniques possibles mis à votre disposition.

Prochainement : Olivia de Havilland : un centième anniversaire passé sous silence. 

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samedi 21 janvier 2017

The birth of a nation : premier sabotage filmique de l'année 2017.

L'imagination est plus importante que le savoir. (Albert Einstein)

Lorsque j'étais enfant, mes connaissances en histoire contemporaine étaient des plus sommaires. Ainsi confondais-je Eisenhower et Adenauer tandis que je mélangeais allègrement les deux Roosevelt. Le Front populaire demeurait pour moi chose incompréhensible. (souvenirs de Moa)

The Birth of a Nation de Nate Parker était en ce commencement d'année 2017 le film que j'attendais le plus, l'ayant sélectionné depuis six bons mois, piaffant d'impatience de le voir. Or, je commençai à tiquer dès que je sus que le distributeur de cette oeuvre était la sinistre compagnie Fox Searchlight, accoutumée aux sabordages intentionnels en série... Sachant qu'il s'agit d'une filiale du groupe détenu majoritairement par le tycoon Rupert Murdoch dont on connaît le bord politique éminemment non progressiste, faire distribuer par une telle compagnie l'oeuvre antiesclavagiste de Nate Parker équivalut selon moi à la production d'un biopic de Theodor Herzl, le père du sionisme, par l'Allemagne nazie ! Aberrant !
Les événements qui accablèrent le film et le réalisateur ne cessèrent de confirmer mes craintes. The Birth of a Nation se retrouva déclassé dans la catégorie infâme et indigne des films commerciaux du second rayon, films, comme l'on sait, qui ne disposent ni des copies des blockbusters, ni de la reconnaissance artistique et critique du cinéma d'art et essai. 


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Le long métrage historique de Nate Parker se veut une réponse cinglante au film homonyme de David Wark Griffith, chef-d'oeuvre formel du cinéma muet daté de 1915, cependant entaché d'un racisme manifeste et d'un message pro Ku Klux Klan ignoble. Nate Parker a donc tourné son "contre Griffith", comme Origène écrivit son Contre Celse.
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 L'argument principal du film de Nate Parker reprend un événement historique méconnu en France : la révolte des Noirs de Virginie, esclaves et hommes libres, en 1831, dont le chef, Nat Turner (interprété par le réalisateur, comédien de profession) fut pendu à Jérusalem en Virginie le 11 novembre 1831. Imprégné par la Bible, Nat Turner pensait accomplir une mission divine. Lui-même natif de Virginie, Nate Parker a travaillé sept ans sur son projet. Le film, qui avait remporté le grand prix du jury et le prix du public au festival de Sundance en 2016, était promis à une belle carrière, d'autant plus que Fox Searchlight en avait acheté les droits à prix d'or.
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Je ne puis préjuger d'un film dont les chances d'être vu en salle sont désormais devenues quasi nulles, conséquemment à la série de cabales qui se sont montées contre lui et ont terni son image, compromis sa carrière et entraîné son bannissement de la sélection aux différents prix américains, dont les Golden Globe et les Baftas. Une fois de plus, comme de coutume, je me contenterai d'une vision d'ici plusieurs mois par un hypothétique support autre que la salle de cinéma. J'admets que l'oeuvre doit être imparfaite, comporte des défauts, parfois des outrances ; mais selon moi le film parfait n'est qu'exception...
On a utilisé contre Nate Parker, afin de lui nuire et de couler un film jugé dangereux et violent, l'arme de l'accusation de crime sexuel, de viol, ainsi qu'il en fut pour Roman Polanski toujours exilé en Europe. Cette arme du sexe, on le sait, fut utilisée sans succès contre le président des Etats-Unis Bill Clinton et contribua à mettre fin aux carrières politiques de personnalité comme DSK, Gary Hart ou John Edwards. Cette affaire, cette brèche, idéale pour les adversaires de Nate Parker, fit s'engouffrer les féministes afro-américaines, l'attitude du réalisateur, bien qu'il eût été lavé par la justice, attisant leur ire irrépressible. Fox Searchlight profita de cette situation pour lâcher son pseudo-chouchou, coup de poignard dans le dos coutumier à cette compagnie dont on croirait qu'elle a été créée non pour promouvoir des oeuvres filmiques, mais pour provoquer presque automatiquement leur naufrage en salles.
Les critiques françaises - en particulier, celles de la bien-pensance caviar bobo via Les Inrock (les plus virulents contre la palme d'or de Ken Loach, rappelons-le), Télérama, ou encore Libé - purent accabler à loisir d'une volée de bois vert et de tomates pourries le film de Nate Parker, le ravalant au rang de méga navet en costume. Il fut jugé académique, hyper violent, raciste anti blanc, longuet etc. On lui reprocha de ne montrer que tardivement la révolte. On reprocha aussi à Nate Parker de n'être qu'un comédien de second plan, bouffi d'orgueil et de prétention, dont l'interprétation messianique de son personnage agaça plus d'un... La polémique alla jusqu'au refus de dissociation de l'oeuvre et de l'artiste. A ce compte, sachant en toute connaissance de cause les opinions racistes et antisémites d'auteurs comme Gobineau et Céline, de compositeurs comme Vincent d'Indy ou Florent Schmitt, jamais je n'aurais dû lire une seule ligne de leurs romans ou écouter une seule note de leurs oeuvres musicales. Or, je le fis, étant parfaitement informé des opinions nauséabondes de ces auteurs... En ce cas, quels que soient les péchés et les crimes entachant la carrière du réalisateur, rien ne m'empêchera à l'avenir d'acquérir le blu-ray ou le DVD de The Birth of a Nation si on veut bien le commercialiser en France... au vu du nuisible désastre commercial parfaitement orchestré dont il a été victime. Autrefois, j'ai regardé la version de Griffith en VHS... c'était en 1992. Je savais quelles abjections contenait ce film. Mais, au nom de l'Histoire du cinéma et de l'Histoire tout court, je l'ai visionné tout de même.
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Cependant, un autre représentant de la culture africaine, le romancier congolais Emmanuel Dongala, a sauvé l'honneur de la cause noire sans susciter de polémique putride avec son remarquable roman paru chez Actes Sud La sonate à Bridgetower. 
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Dans une interview accordée au Monde, parue en ligne le 18 janvier dernier, cet auteur estimable déclare qu'au Siècle des Lumières existait déjà une élite noire européenne. Il rétablit de grandes vérités historiques qui, si elles avaient été exprimées par la bouche ou la plume d'un historien français blanc, l'auraient fait accuser de révisionnisme voire de racisme !  Ainsi, il rappelle l'existence d'esclaves blancs irlandais à la Barbade et les atrocités inhumaines de la traite orientale, arabo-musulmane, trop souvent sous-estimée : l'esclavage ne fut aboli en Arabie Saoudite qu'en 1962. Les esclaves noirs étaient systématiquement castrés, les enfants des femmes noires nés dans les harems tués. Aucune chance que des métis du génie de Saint-Georges,
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 du violoniste Bridgewater ou du général Dumas naquissent en Arabie ! Il est malheureux d'affirmer que, dans Coke en stock, Hergé avait bel et bien raison !

Prochainement, je traiterai du premier corbillard cinématographique de l'année 2017 : Fleur de Tonnerre, dont le sort sur nos écrans étriqués a été pis encore que celui de The Birth of a Nation.
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samedi 14 janvier 2017

Ces écrivains dont la France ne veut plus 17 : Madame de Staël.

Par Cyber Léon Bloy.

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Si j'avais été là avec mes guerriers, j'aurais vengé le Christ ! (Clovis : L'Histoire de France en bandes dessinées n° 2 Attila Clovis. Julio Ribera (dessin) et Christian Godard (texte). Editions Larousse  novembre 1976) 

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Le 14 juillet 2017, l'infime poignée des spécialistes de la culture possédant encore un soupçon de connaissances classiques devrait s'atteler en principe à la tâche ardue de commémorer le bicentenaire de la disparition de Germaine de Staël, opposante à Napoléon fort notable.
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Mais patatras ! Il n'est nullement nécessaire d'être doté du don de pythonisse pour subodorer que ce jour-là, en dehors de la fête nationale, sera une journée des plus ordinaires, banales, vides, où rien ne sera dit, ou diffusé, sur la fille de Jacques Necker.
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 Trop suisse pour les Français, trop française pour les Suisses : Madame de Staël, en conformité avec un fourmillement de personnages anciens délaissés par notre culture viscéralement engluée dans le pétrin de l'immédiat faisant sens, en rejet de l'ancienne culture vilipendée comme scolaire, poussiéreuse, fossilisée ou académique, sera réduite à la portion congrue. L'année 2017 sera écrasée par les ombres tutélaires de Jane Austen, Rodin et peut-être Degas... Nada pour le reste !
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Or, qu'il s'agisse du roman épistolaire Delphine, des essais De l'Allemagne et De la littérature ou encore du roman cosmopolite européen Corinne ou l'Italie nombres d'oeuvres de Germaine de Staël, illustres en leur époque, sont encore disponibles en format de poche (ce qui n'est pas le cas du malheureux Anatole France qui ouvrit notre série et dont les déboires au baccalauréat 2016 ont défrayé la chronique toilée).
On ne peut réduire Germaine Necker à Benjamin Constant... quel que célèbre qu'eût été ce couple libéral.
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La relation ne fut pas unique : chacun collectionna les liaisons. Germaine de Staël apparaît comme une femme libre, émancipée, bien que son physique fût quelconque. Contrairement aux idées reçues, elle naquit et mourut à Paris. Coppet, où, en son exil doré d'opposante à l'Empire, elle constitua son cercle politique, n'avait été acquis par Necker qu'en 1784. C'était une héritière des Lumières, une continuatrice des salons du XVIIIe siècle. Cependant, son rôle sous la Révolution s'avéra ambigu. Acquise à la cause de 1789, elle demeura une modérée, proche de Sieyès et des feuillants. Elle joua un rôle politique certain en manoeuvrant en faveur de Narbonne, nommé ministre de la guerre en décembre 1791 dans le gouvernement feuillant, s'attirant les foudres des brissotins. Rompue aux intrigues politiques - Narbonne
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 était destiné à barrer la route à la Fayette - elle ne put empêcher ni sa chute, ni celle des feuillants, précipitant la constitution du ministère girondin et la déclaration de guerre du 20 avril 1792. Avant même le 10-août, Madame de Staël proposa un plan d'évasion à Louis XVI, que Marie-Antoinette refusa. La chute de la monarchie la vit menacée, de même ses amis Narbonne et Jaucourt. Elle échappa par miracle aux massacres de septembre. Exilée en Suisse et en Angleterre, rencontrant Benjamin Constant en septembre 1794, elle ne revint à Paris qu'en mai 1795 pour rouvrir son salon. Dès lors, bien qu'elle affirmât sa profession de foi républicaine, elle fut en butte aux accusations de conspiration par la Convention thermidorienne, les événements de Vendémiaire (insurrection royaliste), la faisant de nouveau exiler. Germaine de Staël demeura sous le coup d'un mandat d'arrêt jusqu'à ce que Talleyrand la fît rentrer en France.
Sa vie demeura toujours aventureuse, entrecoupée d'exils forcés en fonction des aléas politiques du Directoire, du Consulat puis de l'Empire. Sous Napoléon, Coppet était devenu son lieu de résidence principal,
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 bien qu'elle séjournât alternativement dans d'autres lieux prisés d'Europe, Autriche, Allemagne, Italie ou France. Bonne connaisseuse de l'Europe lettrée de son temps, on peut affirmer que Germaine Necker fut la première écrivaine cosmopolite, d'essence avant tout européenne, bien avant Stefan Zweig.
Elle fut un témoin de la culture européenne, à la transition du classicisme des lumières et du romantisme, entre l'Empire et le congrès de Vienne.
C'est pour cela qu'à mon sens, Madame de Staël mériterait en cet an de grâce 2017 un hommage général européen, bien que mon mauvais esprit me pousse à penser que rien ne se fera, hélas ! Germaine de Staël souffre de son appartenance à l'ancienne culture érudite, qu'on injurie sans cesse comme scolaire, dépassée, et les cuistres des savoirs contemporains n'en ont rien à fiche d'une relecture enrichissante de son oeuvre littéraire et d'essayiste, car elle est déconnectée de cette dominance immédiate, présentiste, où se perd peu à peu la mémoire culturelle de l'Occident en général et de l'Europe en particulier. On se moquera d'elle comme d'une guigne, comme on a omis de célébrer Henry James en 2016. A moins qu'il s'agisse là encore d'un procès d'intention : lui ferait-on payer son ralliement à la Restauration ?
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Je tiens en mes mains les deux volumes de poche de De l'Allemagne, publié en français en 1813 après une première édition en 1810. Germaine de Staël bravait la censure napoléonienne. Je remarque avec pertinence que ce maître ouvrage constitue un tableau culturel exhaustif d'une nation n'existant pas encore politiquement :  la culture fut le premier ciment unificateur de l'entité allemande (l'Autriche n'étant pas oubliée), car je me refuse à parler de nation, la notion ayant été galvaudée aux pires profits nationalistes menant à la guerre et à la destruction massive des vies humaines, aux persécutions ethniques et religieuses.

Qu'écrit-elle par exemple au sujet de la poésie ?


Ce qui est vraiment divin dans le cœur de l'homme ne peut être défini; s'il y a des mots pour quelques traits, il n'y en a point pour exprimer l'ensemble, et sur-tout le mystère de la véritable beauté dans tous les genres. Il est facile de dire ce qui n'est pas de la poésie; mais si l'on veut comprendre ce qu'elle est, il faut appeler à son secours les impressions qu'excitent une belle contrée, une musique harmonieuse, le regard d'un objet chéri, et par-dessus tout un sentiment religieux qui nous fait éprouver en nous-mêmes la présence de la divinité. La poésie est le langage naturel à tous les cultes. La Bible est pleine de poésie, Homère est plein de religion; ce n'est pas qu'il y ait des fictions dans la Bible, ni des dogmes dans Homère; mais l'enthousiasme rassemble dans un même foyer des sentiments divers, l'enthousiasme est l'encens de la terre vers le ciel, il les réunit l'un à l'autre.
Le don de révéler par la parole ce qu'on ressent au fond du cœur est très rare; il y a pourtant de la poésie dans tous les êtres capables d'affections vives et profondes; l'expression manque à ceux qui ne sont pas exercés à la trouver. Le poëte ne fait, pour ainsi dire, que dégager le sentiment prisonnier au fond de l'ame; le génie poétique est une disposition intérieure de la même nature que celle qui rend capable d'un généreux sacrifice: c'est rêver l'héroïsme que composer une belle ode. Si le talent n'étoit pas mobile, il inspireroit aussi souvent les belles actions que les touchantes paroles; car elles partent toutes également de la conscience du beau, qui se fait sentir en nous-mêmes.(...)

Elle évoque et analyse ainsi la poésie allemande :

Les Allemands réunissant tout à la fois, ce qui est très rare, l'imagination et le recueillement contemplatif, sont plus capables que la plupart des autres nations de la poésie lyrique. Les modernes ne peuvent se passer d'une certaine profondeur d'idées dont une religion spiritualiste leur a donné l'habitude; et si cependant cette profondeur n'étoit point revêtue d'images, ce ne seroit pas de la poésie: il faut donc que la nature grandisse aux yeux de l'homme pour qu'il puisse s'en servir comme de l'emblème de ses pensées. Les bosquets, les fleurs et les ruisseaux suffisoient aux poëtes du paganisme; la solitude des forêts, l'Océan sans bornes, le ciel étoilé peuvent à peine exprimer l'éternel et l'infini dont l'ame des chrétiens est remplie.
Les Allemands n'ont pas plus que nous de poëme épique; cette admirable composition ne paroît pas accordée aux modernes, et peut-être n'y a-t-il que l'Iliade qui réponde entièrement à l'idée qu'on se fait de ce genre d'ouvrage: il faut pour le poëme épique un concours singulier de circonstances qui ne s'est rencontré que chez les Grecs, l'imagination des temps héroïques et la perfection du langage des temps civilisés. Dans le moyen âge, l'imagination étoit forte, mais le langage imparfait; de nos jours le langage est pur, mais l'imagination est en défaut. Les Allemands ont beaucoup d'audace dans les idées et dans le style, et peu d'invention dans le fond du sujet; leurs essais épiques se rapprochent presque toujours du genre lyrique. Ceux des Français rentrent plutôt dans le genre dramatique, et l'on y trouve plus d'intérêt que de grandeur. Quand il s'agit de plaire au théâtre, l'art de se circonscrire dans un cadre donné, de deviner le goût des spectateurs et de s'y plier avec adresse, fait une partie du succès; tandis que rien ne doit tenir aux circonstances extérieures et passagères dans la composition d'un poëme épique. Il exige des beautés absolues, des beautés qui frappent le lecteur solitaire, lorsque ses sentiments sont plus naturels et son imagination plus hardie. Celui qui voudroit trop hasarder dans un poëme épique pourroit bien encourir le blâme sévère du bon goût français; mais celui qui ne hasarderoit rien n'en seroit pas moins dédaigné. (...)

Les citations sont garanties en orthographe d'époque (1810), soit une persistance de la manière d'orthographier d'Ancien régime. Car Germaine de Staël est tout entière, en son style d'écriture, une femme issue des Lumières qu'elle clôture. 
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Et les premières lignes de Corinne ou l'Italie, roman publié en 1807, avec ses accents pré-romantiques venus de Goethe, du "mal du siècle", n'ont rien à envier à Jane Austen, exacte contemporaine de Germaine de Staël, bien que la seconde fût sans doute alors plus célèbre que notre pimpante et piquante Britannique, dont la notoriété parfois un peu factice en France remonte surtout aux années 1990, au détriment d'autres romancières d'outre-Manche bien plus passionnantes comme Elizabeth Gaskell ou George Eliot. On m'objectera : où sont donc passés chez notre franco-suisse la légèreté, la désinvolture et le flegme so british ?

Oswald lord Nelvil, pair d' Écosse, partit d' Édimbourg pour se rendre en Italie pendant l' hiver de 1794 à 1795. Il avait une figure noble et belle, beaucoup d' esprit, un grand nom, une fortune indépendante ; mais sa santé était altérée par un profond sentiment de peine, et les médecins, craignant que sa poitrine ne fût attaquée, lui avaient ordonné l' air du midi. Il suivit leurs conseils, bien qu' il mît peu d' intérêt à la conservation de ses jours. Il espérait du moins trouver quelque distraction dans la diversité des objets qu' il allait voir. La plus intime de toutes les douleurs, la perte d' un père, était la cause de sa maladie ; des circonstances cruelles, des remords inspirés par des scrupules délicats aigrissaient encore ses regrets, et l' imagination y mêlait ses fantômes. Quand on souffre, on se persuade aisément que l' on est coupable, et les violents chagrins portent le trouble jusques dans la conscience. À vingt-cinq ans il était découragé de la vie ; son esprit jugeait tout d' avance, et sa sensibilité blessée ne goûtait plus les illusions du coeur. Personne ne se montrait plus que lui complaisant et dévoué pour ses amis quand il pouvait leur rendre service, mais rien ne lui causait un sentiment de plaisir, pas même le bien qu' il faisait ; il sacrifiait sans cesse et facilement ses goûts à ceux d' autrui ; mais on ne pouvait expliquer par la générosité seule cette abnégation absolue de tout égoïsme ; et l' on devait souvent l' attribuer au genre de tristesse qui ne lui permettait plus de s' intéresser à son propre sort. Les indifférents jouissaient de ce caractère, et le trouvaient plein de grâces et de charmes ; mais quand on l' aimait, on sentait qu' il s' occupait du bonheur des autres comme un homme qui n' en espérait pas pour lui-même ; et l' on était presque affligé de ce bonheur qu' il donnait sans qu' on pût le lui rendre. Il avait cependant un caractère mobile, sensible et passionné ; il réunissait tout ce qui peut entraîner les autres et soi-même : mais le malheur et le repentir l' avaient rendu timide envers la destinée : il croyait la désarmer en n' exigeant rien d' elle. Il espérait trouver dans le strict attachement à tous ses devoirs, et dans le renoncement aux jouissances vives, une garantie contre les peines qui déchirent l' âme ; ce qu' il avait éprouvé lui faisait peur, et rien ne lui paraissait valoir dans ce monde la chance de ces peines : mais quand on est capable de les ressentir, quel est le genre de vie qui peut en mettre à l' abri ? Lord Nelvil se flattait de quitter l' Écosse sans regret, puisqu' il y restait sans plaisir ; mais ce n' est pas ainsi qu' est faite la funeste imagination des âmes sensibles : il ne se doutait pas des liens qui l' attachaient aux lieux qui lui faisaient le plus de mal, à l' habitation de son père. Il y avait dans cette habitation des chambres, des places dont il ne pouvait approcher sans frémir : et cependant quand il se résolut à s' en éloigner, il se sentit plus seul encore. Quelque chose d' aride s' empara de son coeur ; il n' était plus le maître de verser des larmes quand il souffrait ; il ne pouvait plus faire renaître ces petites circonstances locales qui l' attendrissaient profondément ; ses souvenirs n' avaient plus rien de vivant, ils n' étaient plus en relation avec les objets qui l' environnaient ; il ne pensait pas moins à celui qu' il regrettait, mais il parvenait plus difficilement à se retracer sa présence. Quelquefois aussi il se reprochait d' abandonner les lieux où son père avait vécu. (...)

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En notre époque contemporaine se targuant de féminisme à tout-va, il est flagrant de constater, deux siècles après sa disparition, l'injustice mémorielle oublieuse qui entoure Madame de Staël-Holstein (du nom du mari dont elle sut divorcer), non réparable par nos édiles déculturés. Pourtant, cette femme émancipée pourrait donner des leçons aux gens du XXIe siècle ! Elle est sans doute la dernière grande figure féministe des Lumières après Madame Roland et Olympe de Gouges, un pont indispensable jeté entre elles et le romantisme de George Sand.Nous assistons jour après jour à un pourrissement tout à la fois graduel et intentionnel de la transmission et de la réception de l'ancienne culture par ce qui fut la voie royale, la voie par excellence, celle de l'Ecole des hussards noirs chers à Monsieur Péguy. Ce pourrissement - qu'écris-je ! ce renoncement (démission, renonciation à toute ambition) obéit à des motifs démagogiques, eux mêmes dictés par un relativisme culturel intense (ce qui va au-delà d'une simple manifestation phénoménologique) dicté autrefois par la funeste figure de Johann Gottfried von Herder. Le "tout se vaut" étend lors ses ravages en la gaste plaine désolée d'un monde ancien, écroulé à jamais. Dans la deuxième partie de De l'Allemagne, notre bas-bleu de génie consacra au philosophe allemand tout un chapitre XXX :



Les hommes de lettres en Allemagne, sont à beaucoup d’égards la réunion la plus respectable que le monde éclairé puisse offrir ; et parmi ces hommes, Herder mérite encore une place à part : son âme, son génie et sa moralité tout ensemble ont illustré sa vie. Ses écrits peuvent être considérés sous trois rapports différents : l’histoire, la littérature et la théologie Il s’était fort occupé de l’antiquité en général et des langues orientales en particulier. Son livre intitulé la Philosophie de l’Histoire est peut-être le livre allemand écrit avec le plus de charme (…) 

Elle ne tarit pas d'éloges, comparant ensuite le travail de Herder à celui de Montesquieu sans toutefois citer Edward Gibbon, dont, à sa décharge, la première traduction française, imparfaite, remontait à 1795, la seconde, plus complète et satisfaisante, étant postérieure de deux ans à la rédaction de l'essai de Madame de Staël. Elle regrettait profondément que Herder fût mort en 1803 et qu'elle n'eût pu le rencontrer en ses pérégrinations européennes.


La fameuse comtesse d'Haussonville peinte par Ingres est une descendante de notre femme de lettres...

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Louise de Broglie naquit à Coppet en 1818, sans jamais avoir connu son illustre grand-mère. Elle nous a légué une oeuvre d'historienne non négligeable, en partie consacrée à la grande figure tutélaire du romantisme anglais : Lord Byron.

La prochaine fois, j'évoquerai le premier grand sabotage filmique de l'année 2017 : The birth of a Nation, de Nate Parker.

samedi 7 janvier 2017

Adieu à Raoul Curet (1920-2016).

En France, les films se subdivisent désormais en deux catégories : ceux que les critiques n'ont pas vu, et qui disposent d'un nombre considérable d'écrans et ceux que certes, les critiques ont vu, mais que les spectateurs ne peuvent que difficilement aller voir parce qu'ils disposent d'une quantité insuffisante voire négligeable de copies  (observations d'un cinéphile désenchanté habitant une bourgade de province).

Comme les multinationales du genre Monsanto imposant semences et OGM aux petits paysans, les gros distributeurs de blockbusters imposent d'office aux petits exploitants indépendants, sans qu'ils aient leur mot à dire, leurs giga navets bardés de copies au détriment des films d'art et d'essai, ou mieux, de ceux que ces mêmes gros distributeurs ont décidé de déclasser dans la catégorie infamante de "commercial second rayon", catégorie à laquelle appartient désormais la grosse majorité des films des genres fantastique, horreur et thriller. Hors des multiplexes, il est devenu presque impossible de les voir dans les petits cinémas des petites villes en "projection classique" en salle. Les films commerciaux distribués sous les 300 copies ne sont pas des blockbusters mais des oeuvres classables dans le "second rayon". (observations d'un cinéphile désenchanté op. cit.)

Quelques semaines après Nadine Alari, c'est au tour d'un autre comédien ayant participé à l'épopée feuilletonnesque du mythique Rocambole de l'ORTF (1964-1966) de disparaître : Raoul Curet, alias les jumeaux improbables Colard et Le Pâtissier, âmes damnées de Sir Williams (Jean Topart 1922-2012, auquel je rendis également hommage en ce même blog voilà quatre ans).
Raoul Curet, né à Aix-en-Provence le 8 septembre 1920, nous a quittés dans la nuit du 28 au 29 décembre 2016, soit quatre ans jour pour jour après Jean Topart. Je parlerais de hasard, de destin, si cette coïncidence frappante ne donnait pas lieu à une association d'idées : les liens hasardeux et tragiques noués entre les personnages successifs interprétés par Raoul Curet et celui, emblématique et en haut de l'affiche de Jean Topart. Car, qu'il se fût agi de Colard ou du Pâtissier, ces deux malfrats d'un XIXe siècle de roman-feuilleton étaient voués (scénario oblige) à mourir avant même que l'intrigue ne se dénouât. Raoul Curet apparaît comme le séide, le féal de Sir Williams, indéfectiblement attaché à ce maître de la pègre du XIXe siècle, dévoué à lui jusqu'à la mort. Serment de fidélité féodal des malfrats ?
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Dans L'Héritage mystérieux, puis dans Les Etrangleurs, Colard et son "frère" "Le Pâtissier", périssent de mort violente : balle de pistolet et effondrement d'un souterrain.
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 Le Pâtissier (qui fait songer à ce fameux argot d'époque, où le Boulanger désignait le diable et le Curieux le juge) meurt victime de son propre piège : faire disparaître Rocambole dans une carrière souterraine via un baril de poudre dont la mèche a été ignée alors que l'aventurier se porte à la rescousse de Baccarat, cette fameuse courtisane imaginaire et partenaire d'intrigues échevelées, Baccarat servant, aux dires du Pâtissier, de "fromage". Sir Williams se retrouve malencontreusement prisonnier dudit boyau en compagnie de celui qu'il surnomme "mon fils" (il fut son mentor) alors que Rocambole, interprété par Pierre Vernier, l'appelle non sans ironie "Monseigneur, mon bon maître", tandis que la mèche se consume. Le Pâtissier est mort dans l'éboulement du puits de sortie, suspendu à son échelle de corde, alors qu'il s'échappait en vociférant à l'encontre de Rocambole : "Moi aussi, je sais brandir la foudre !"
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S'ensuit un dialogue superbe entre le héros et la figure du Mal. Par exemple :  
"Les plus belles fleurs poussent sur les champs de bataille. (Sir Williams)
- Monseigneur, pourquoi n'aimes-tu pas la vie ? (Rocambole)
- Je l'aime à ma façon. La vie, la mort, sont les deux battements de coeur de la nature." (Sir Williams)
Je cite de mémoire. En cas d'inexactitude des répliques, tout commentaire rectificatif sera le bienvenu.
Pour Le Pâtissier, Rocambole vous ligote avec sa langue. 
Sir Williams a ces mots désabusés alors que les cris de rage du¨Pâtissier s'éloignent et que le puits commence à s'effondrer : 
"Je le devine, s'agitant sur son échelle, comme un pendu coriace pris de folie." Il déclare aussi, le qualifiant : "Le fou, le beau fou..."
Avant la rediffusion de Rocambole sur FR3, chaque dimanche, en début d'après-midi, entre septembre 1982 et janvier 1983, Raoul Curet était pour moi un illustre inconnu, au même titre d'ailleurs que René Clermont alias Antoine de Beaupréau. Je connaissais (mal) Jean Topart du fait de sa prestation sous les postiches d'Emile Zola dans Zola ou la conscience humaine de Stelio Lorenzi (1978) et beaucoup mieux Pierre Vernier, visage déjà pour moi très familier après avoir goûté à son interprétation sublime de Richelieu en 1977 (dans le feuilleton historique éponyme) puis 1978 (au premier épisode du Mazarin joué par François Périer).
La présence de Raoul Curet dans Rocambole constitua une découverte enthousiasmante, bien que j'ignorasse alors tout de sa carrière de second couteau expérimenté (pour moi, le symbole du second couteau s'incarnait en l'incontournable Dominique Zardi (1930-2009), autre Grand des petits rôles, qui roula sa bosse chez Claude Chabrol en de remarquées compositions).
 http://cinememorial.com/Image/DOMINIQUE%20ZARDI/5.jpg
Je revis Raoul Curet de temps à autre, dans des films, des feuilletons, sans que ses rôles fussent aussi mémorables et marquants que Colard et Le Pâtissier. Ainsi, il a participé avec Zardi à l'aventure cinéphilique chabrolesque via Betty (1991), adapté de Georges Simenon, qui fut hélas un échec commercial retentissant. Il y partagea l'affiche, dans le rôle du notaire, avec Pierre Vernier qui était le docteur...
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Si vous souhaitez connaître davantage de choses sur la vie de Raoul Curet, je ne saurais trop vous conseiller, en plus bien évidemment de l'article de Wikipedia, le blog danslombredesstudios.blogspot.com. L'auteur, Rémi C., a eu la chance de rencontrer l'acteur quelques mois avant son décès. Il lui a consacré un billet passionnant le 28 juillet 2016 : "Raoul Curet : rencontre au soleil". On y apprend beaucoup de choses, notamment sa carrière de doubleur et de soliste principal et arrangeur du quatuor vocal Les Quat' Jeudis.

Prochainement : reprise de la série consacrée aux écrivains dont la France ne veut plus. Dix-septième volet : Madame de Staël.
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