vendredi 24 février 2017

Delacroix à Saint-Sulpice ou le deux poids deux mesures de la politique officielle de restauration des oeuvres d'art.

Quand Monsieur Prudhomme pose une question, il n'aime pas qu'on lui réponde en japonais. (Louis Desprez in : L'évolution naturaliste Paris, Tresse, 1884)

La nécessité est un mal, mais il n'y a aucune nécessité de vivre dans la nécessité. (Epicure : Pensées vaticanes)

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Matinée du 13 novembre 1943, Saint-Germain-en-Laye. 
Depuis un mois, Maurice Denis attendait de pied ferme la réaction de Gwenaëlle. Il ne se laisserait pas occire sans résister. Plus question pour lui d'emprunter le moindre véhicule roulant autre que le train. Même une bicyclette s'avérait dangereuse. Tout à son obsession paranoïaque, il demeurait des heures entières dans son atelier, ne se sustentant que de loin en loin. Il développait vis à vis de son art une distanciation blasée. Il doutait de la postérité et ne parvenait plus à poursuivre le moindre travail créatif. Il occupait son désœuvrement en reprenant inlassablement la lecture des "Propos sur la peinture" de Dong Qichang (1555-1636), sorte de Vasari chinois. Les pages de l'ouvrage en devenaient graisseuses et sales à force d'un feuilletage forcené et répétitif.

Délaissant Qichang, il passa à un recueil de reproductions de peintures de Wang Yuanqi (1642-1715), un artiste qualifié de Cézanne chinois, car déjà précubiste, contemporain de l'Empereur Kang Xi. Il en avait désormais la conviction : développer davantage ses dernières esquisses jusqu'à l'opus finalisé ne le mènerait qu'au syndrome de la création de trop, comme ultérieurement E.P. Jacobs pour "Les trois formules du professeur Sato" ou Chaplin pour "La comtesse de Hongkong". A quoi bon? Son heure était passée, et il n'avait même pas été un nabi japonard! De lui, ne resterait qu'un petit maître, un de ces Josépin,
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 de ces Hannibal Carrache, de ces plus tardif Utrillo, qui ne comptent plus en histoire de l'art, puisque passés de mode. Trop "bien arrivé", jamais crève la faim, donc soustrait à l'étiquette d'artiste maudit, la seule satisfaisante. Trop d'honneurs tuent la gloire pour la postérité. On écrirait en épitaphe : "Ci-gît Maurice Denis, principicule, cacique, fantoche, roitelet de la peinture". On le restreindrait et l'abandonnerait aux querelles picrocholines de spécialistes ultra pointus, auteurs de thèses d'Etat nombrilistes et narcissiques lisibles par moins de dix personnes. Il ne serait ni "Duke", ni "King", ni Count", comme quelques princes du jazz.

Puisque démodées, plus aucun musée n'accepterait bientôt d'exposer ses œuvres. Elles seraient condamnées à l'enfouissement dans les réserves ad vitam æternam, à un lent pourrissement, une corruption, un empoussièrement graduels. Peut-être finirait-on par les vendre à l'encan au premier offrant qui les utiliserait comme engrais ou comme combustible? Ou encore aurait-on l'autorisation de les vandaliser, de les profaner, les marteler, les immoler, les démanteler, les détruire jusqu'à la dernière écaille de pigment afin qu'il n'en restât nulle trace pour les siècles des siècles. "Yahvé fera de Ninive…" Maurice ne pouvait imaginer un instant son fameux "Hommage à Cézanne", par exemple, traité pis qu'un chancre coloré, un tréponème, un microbe, voué aux gémonies, au cul de basse-fosse, à l'ergastule, la léproserie, les latomies pour les esclaves, les intouchables et les parias… (Christian Jannone : Gaby et Jean, histoire d'une malédiction in Le Parnasse de la rétromanie Edilivre, Paris, 2010)

La troisième citation, un peu longue, servant d'avant-propos à ce billet, était nécessaire pour introduire mon sujet. Elle illustre à merveille le dilemme se posant aux restaurateurs actuels d'oeuvres, selon qu'ils aient la charge de remettre en état celles léguées par des artistes illustres et encore reconnus comme tels au XXIe siècle et celles de peintres ou sculpteurs désormais oubliés ou négligés (parfois bien à tort). Faut-il privilégier les vedettes incontestées de l'histoire de l'art au détriment des autres plasticiens, bien moins connus (à l'exception des spécialistes) ? Ce qui s'est passé récemment à Saint-Sulpice répond à la question, et cela reflète une tendance inquiétante. C'est la raison pour laquelle j'envisage de créer prochainement, aux côtés de la série d'articles que je consacre depuis octobre 2014 aux écrivains dont la France ne veut plus, plusieurs textes axés sur des peintres (je suis bien moins à l'aise parmi les sculpteurs) passés de mode et auxquels les médias ne consacrent plus guère de place.
Le site La Tribune de l'Art, souvent polémique, a abondamment abordé l'affaire des fresques de Saint-Sulpice.
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 Elle nous éclaire sur les choix préférentiels médiatiques de la politique culturelle contemporaine : Delacroix est plus bancable et rentable que tous les Tartempion oubliés ayant contribué avec lui à la décoration de Saint-Sulpice. Ils ne sont pas prioritaires... Ce ne sont ni des génies, ni des maudits. 
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Ainsi, une force inertielle flagrante, alliée à une paresse culturelle pesante, oblitère tout effort intellectuel, toute envie de curiosité, toute ouverture à ce qui est moins conformiste, à la mode dominante dictée d'en haut. En témoigne un récent documentaire d'Arte consacré (partiellement) au musée d'Unterlinden de Colmar
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 après sa réouverture . Si l'on suit scrupuleusement ce documentaire et la doxa sous-jacente qu'il véhicule explicitement, les collections du musée d'Unterlinden se réduisent à une confrontation comparative (sur le plan de l'inspiration et de la revendication artistique), à un face à face fructueux entre le retable d'Issenheim de Matthias Grünewald et l'oeuvre d'Otto Dix présente à l'occasion d'une exposition temporaire, le tout étant çà et là saupoudré de bribes allant d'instruments anciens à l'art moderne et contemporain surtout Dubuffet en passant par Martin Schongauer sans omettre un zeste de statuaire et un soupçon d'archéologie ou une once de cloître. Naturellement, la partie ATP des collections d'Unterlinden, tout autant digne d'intérêt que les autres est passée soigneusement sous silence puisque forcément connotée blubo-FN selon Arte qui oublie que des historiens de gauche des mentalités se penchèrent il n'y a pas si longtemps sur ces manifestations de la culture populaire... Ce qui m'a aussi frappé dans ce documentaire  - et ce n'est pas la première fois que je fais ce constat - c'est que, en dehors de quelques noms emblématiques (l'on peut affirmer qu'ils ne doivent guère excéder la trentaine - quarante à tout casser -  pour des siècles allant du XIVe à environ 1850-60) l'art antérieur à la révolution impressionniste et grosso-modo à Manet apparaît comme fondamentalement anonyme comme l'art romain... Moi qui brûle d'envie de connaître le titre et le nom de l'auteur de telle ou telle peinture furtivement entrevue dans le documentaire, je me retrouve frustré, bien que j'aie visité à deux reprises (en 1999 et 2005, soit avant rénovation) ledit musée d'Unterlinden ! Je pense tout particulièrement au Char de la Mort de Théophile Schuler.  Si les labels discographiques des années 1980-1990 (c'était le bon temps du CD) avaient tenu le même raisonnement, j'aurais à jamais été privé de l'audition de compositeurs dits secondaires donc méprisables comme Méhul, Onslow, Jean Cras ou Joseph-Guy Ropartz... Or, lorsque j'accédai à l'écoute de leurs morceaux, ce fut à chaque fois une divine surprise et un enchantement. Dès 1985, j'avais compris qu'il ne fallait pas me restreindre à Bach, Mozart, Beethoven ou Schubert... d'où ma découverte cette année-là du chevalier de Saint-Georges dont on ne parlait pas encore (du moins en dehors des cercles de spécialistes). Et Arte, en 2016, comme elle en a tristement l'habitude, n'a pas fait entendre une note de Granados disparu cent ans auparavant... Pendant ce temps, l'écrivaine Marie Darrieusecq (que je ne lis pas), toujours dans le même docu emblématique de la culture selon Arte, semblait exécrer le retable d'Issenheim puisqu'elle ne pouvait croire à ce qu'il représente... Il n'y a pas besoin d'être chrétien pour aimer ce type extraordinaire de peinture...
Cela permet, en élargissant mon propos, d'éclairer d'un jour nouveau l'indifférence accompagnant la dégradation et la décrépitude manifestes des peintures d'Auguste Vinchon (1789-1855)
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, de Félix Jaubbé-Duval (1821-1889), de Charles Landelle (1821-1908), d'Emile Signol (1804-1892)
 https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/8/80/Emile_Signol_(1804-1892)_-_Dagobert_Ier_roi_d'Austrasie_de_Neustrie_et_de_Bourgogne_(mort_en_638).jpg/161px-Emile_Signol_(1804-1892)_-_Dagobert_Ier_roi_d'Austrasie_de_Neustrie_et_de_Bourgogne_(mort_en_638).jpg
 ou de François-Joseph Heim (1787-1875), toutes présentes à Saint-Sulpice et dont le besoin de remise en état était moult plus urgent que le décrassage de la célébrissime Lutte de Jacob avec l'Ange de Delacroix, à la virtuosité incomparable, par ailleurs objet d'un livre remarquable de Jean-Paul Kauffmann.  Pour davantage de détails, je vous invite à parcourir l'article rageur et juste de M. Didier Rykner L'incroyable souscription pour les Delacroix de Saint-Sulpice paru dans La Tribune de l'Art le 27 septembre 2014. Les photos parues dans l'article de La Tribune de l'Art, explicites de l'état de délabrement des peintures d'Emile Signol et de ses collègues, se passent de commentaire... Ces peintres (Signol fut parmi eux un représentant de la peinture d'Histoire, particulièrement "médiévale" et Auguste Vinchon un néo-classique assez notoire), aussi intéressants et estimables qu'ils eussent été, ne font pas le poids face au génial Delacroix. Sans doute paient-ils aussi leur côté "artistes officiels" voués au purgatoire, comme de nos jours Christine Angot ou Marie Darrieusecq font figures d'écrivaines officielles - tel en son temps Paul Bourget désormais réduit au seul Disciple parfois disponible en poche -  tandis qu' Etienne de Montety, auteur de L'Amant noir chez Gallimard, est un des grands perdants de la petite rentrée littéraire de janvier 2017 (livre introuvable à la FNAC de Marseille, absence de tout article chez la bande des quatre - Le Magazine littéraire, Lire, Le Monde des Livres et Télérama - alors que Le Figaro, La Croix et Le Nouvel Obs, en son blog, en ont parlé...)
Plusieurs musées d'arts actuels semblent souffrir de ce syndrome de rejet de l'art non contemporain ou antérieur (sous prétexte qu'il est devenu daté et inintelligible pour le vulgum pecus) : le musée Granet d'Aix-en-Provence l'expose de moins en moins et en restreint l'accrochage, celui de Saint-Etienne ne le montre pas du tout et les édiles viennent carrément de fermer celui de Chartres ! Comme si, en dehors d'à peu près trente ou quarante noms maximum  entre 1300 et 1850, tout ce qui est antérieur à Manet est désormais dépourvu d'intérêt ! 
Va-t-on, comme on peut le craindre, laisser pourrir et se détériorer ces oeuvres "inintéressantes" pour le grand public, réduites désormais à la seule étude et exégèse universitaire des spécialistes, jusqu'à ce qu'il n'en reste que des fragments ruinés indéchiffrables ?  Combien de Vinchon, combien de Landelle irrémédiablement abîmés et jetés aux ordures, victimes de l'opprobre au nom de la seule chébrantude rentabiliste faisant sens ? Imaginez par exemple, un tableau d'Emile Friant ou des frères Le Nain totalement encrassé, écaillé, à demi effacé, accroché à côté d'un Picasso propre et brillant comme un sou neuf !  En gros, c'est comme ça que cela se passe à Saint-Sulpice dans les années 2010 de ce siècle !

Prochainement : Malherbe fera l'objet du 18e volet de ma série consacrée aux écrivains dont la France ne veut plus.
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samedi 4 février 2017

Octave Mirbeau ou le boycott mémoriel et commémoratif intégral.

Cet article aurait pu appartenir à la série que je consacre depuis plus de deux ans aux écrivains dont la France ne veut plus. Mais l'ampleur du scandale culturel m'a imposé de le publier à part, indépendamment, comme une espèce de hors série.
 Les événements nécrologiques du mois de février 1917, pour intéressants qu'ils eussent été, confirment en moi un sentiment de consternation après l'écoulement d'un siècle. Pourtant, nulle confusion n'était possible entre l'antisémite Edouard Drumont, disparu le 3 février 1917 et Octave Mirbeau, écrivain, journaliste et critique d'art qui mourut, en pied de nez à l'histoire, le jour même de son anniversaire, le 16 février 1917.
 https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/2/28/Octave_Mirbeau_formal_portrait.jpg/220px-Octave_Mirbeau_formal_portrait.jpg
Aucune confusion n'était possible entre Drumont et Mirbeau...
 https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/a/a7/Caricature_of_Edouard_Drumont_by_Charles_L%C3%A9andre_-_Le_Rire_-_5_march_1898.jpg/220px-Caricature_of_Edouard_Drumont_by_Charles_L%C3%A9andre_-_Le_Rire_-_5_march_1898.jpg
 Pourtant, l'affaire a pris une mauvaise tournure : c'était à croire que des ignares ont concocté un oukase excluant notre auteur comme s'il se fût agi d'un personnage peu recommandable, à l'image, par exemple, d'un Louis-Ferdinand Céline.
Exclusion de célébrations soutenues par l'Etat donc ; exclusion honteuse, stupide, qui trahit le niveau culturel de nos édiles et les rancoeurs les habitant encore cent années après qu'Octave Mirbeau les eut ridiculisés.

AVERTISSEMENT : je vais user du droit de citation en reproduisant de larges extraits pertinents de l'entretien paru en ligne de M. Pierre Michel, président de la Société Octave Mirbeau et spécialiste de l'écrivain sur le site Diacritik. L'heure est grave : le scandale Octave Mirbeau s'apparente à celui de Diderot, réduit en 2013 au localisme télévisuel. Nombreuses sont les institutions officielles à avoir refusé de monter la moindre manifestation autour d'Octave Mirbeau. Naturellement, hors Internet, rien ne filtre sur cette affligeante médiocrité. Je m'excuse auprès de la personne ayant conduit cet entretien constructif ; son nom n'est pas mentionné mais je suppose qu'il s'agit de celle qui est responsable de Diacritik, en toute logique. les passages cités ne sont pas dans l'ordre du texte originel.



(...) 2017 marquera le centenaire de la mort d’Octave Mirbeau. Quelles seront les principales manifestations qui accompagneront cet anniversaire et en particulier celles organisées par la Société Octave Mirbeau que vous présidez ?

C’est en effet la Société Octave Mirbeau qui, depuis plus de trois ans, prépare la commémoration Mirbeau de 2017, sans le moindre soutien ni la moindre aide du Ministère de la Culture, ni d’aucune instance régionale, ni d’aucune institution culturelle de notre doux pays. Petite association loi 1901, la Société Mirbeau a donc dû faire avec les modestes moyens du bord et beaucoup d’huile de coude et est néanmoins parvenue à ce qu’un hommage international soit rendu à l’auteur du Journal d’une femme de chambre, grâce à son réseau de correspondants, d’une part, et, d’autre part, grâce à l’effet produit par la mise en ligne gratuite de toute son œuvre et à l’audience stupéfiante du monumental Dictionnaire Octave Mirbeau qui en arrive à 684 000 visites.

La commémoration Mirbeau comprend  une importante partie universitaire, qui comporte diverses publications et de nombreux colloques et journées d’étude, par exemple au Palais du Luxembourg le 27 janvier, à Morlaix le 11 février, à Lódz, en Pologne, le 17 mars, à la Sorbonne le 25 mars, à Angers le 31 mars et le 1er avril, à Debrecen, en Hongrie, etc. Parmi les publications, outre le n° 24 des Cahiers Mirbeau, signalons une publication autour de Dingo, de l’Université Libre de Bruxelles, un numéro Mirbeau de Studi francesi, un numéro Mirbeau de la revue néerlandaise De AS et un numéro Mirbeau de la revue littéraire maghrébine, L’Ivrescq. L’Argentine, le Brésil, les États-Unis, l’Allemagne, la Serbie, le Monténégro, la Grèce et le Cameroun ne seront pas absents des festivités mirbelliennes, qui ont vraiment pris une dimension mondiale. Pour sa part, la Société Mirbeau organise trois de ces colloques – Palais du Luxembourg, Morlaix et Angers – et participe en tant que telle à deux autres : Chicago et Grenade. Et ce sont des adhérents de notre association qui sont aux manettes à la Sorbonne, à Lódz et à Debrecen.

Il convient également de signaler les diverses créations, ou reprises, théâtrales, un peu partout en France, et, au premier chef, la création, à Bertrix, au Luxembourg belge, le 19 janvier, de Rédemption, ou la folie du toujours mieux, l’oratorio théâtral d’Antoine Juliens, d’après des romans et des personnages de Mirbeau. C’est la Société Mirbeau qui a encouragé et permis cette création, qui a recueilli l’argent nécessaire et qui édite, à son compte, le livret, chez l’éditeur Weyrich. Elle a aussi permis la création, à Angers, de la lecture spectacle De l’épidémie à la grève, et a contribué à celle de L’Épidémie et de Mémoire pour un avocat, en Normandie. Elle est aussi partie prenante des trois spectacles Mirbeau de Bretagne –  par deux compagnies de Lorient et une du Finistère – et des Farces et moralités, qui vont être montées par la troupe de Triel-sur-Seine. Les autres créations ou reprises, notamment celles des Affaires sont les affaires, sont indépendantes de notre association, mais se situent dans le cadre de la commémoration. (...)

Commentaire : de fait, les commémorations ne sont pas absentes, les éditions et représentations de ses pièces non plus, mais il n'y a là aucun appui, aucun financement officiel, et cela est regrettable...



(...) La Société Mirbeau a aussi investi une bonne partie de ses ressources financières dans trois projets cinématographiques. D’une part, deux projets de documentaires, l’un d’Émilien Awada et l’autre de Laurent Canches. Et, d’autre part, une libre adaptation de L’Abbé Jules par Shirel Amitay et Laurent Canches. Le travail préparatoire a été réalisé et les dossiers ont été déposés. Mais, pour l’heure aucun de ces projets n’a abouti, et l’indifférence des chaînes publiques est grandement à déplorer. (...)

 Commentaire :  M. Pierre Michel critique nommément les chaînes publiques hexagonales. Un documentaire sur Mirbeau eût été à la portée de France 5 ou France 3 (même d'ailleurs d'Arte). Une fois de plus l'ignorance et l'indifférence triomphent.



(...) Un mot, pour terminer, sur d’autres indifférences encore plus déplorables. La Comédie-Française, qui a connu son plus grand succès du siècle avec Les affaires sont les affaires, n’a pas voulu monter de pièce de Mirbeau et n’a pas daigné présenter une conférence gratuite sur le dramaturge de son répertoire, dont les deux grandes comédies sont pourtant liées étroitement à son histoire : la suppression du comité de lecture, à l’occasion des Affaires sont les affaires, et son rétablissement, après la bataille du Foyer. Plus grave et inquiétant encore est le refus du Musée d’Orsay d’organiser un hommage à Mirbeau, qui fut le chantre attitré de tous les grands génies de la peinture et de la sculpture modernes dont les œuvres sont présentées au musée et attirent les foules du monde entier. Dans toutes ces abstentions, le silence assourdissant du Ministère de la Culture a dû jouer son rôle. Heureusement trois institutions culturelles sont néanmoins partie prenante : le Musée Rodin, qui organisera à l’automne une petite exposition Mirbeau ; la B.N.F., qui présentera deux soirées consacrées à Mirbeau, le 4 octobre et le 13 décembre ; et l’Académie Royale de Langue et de Littérature Françaises de Belgique, qui prévoit une journée d’étude en novembre ou décembre. (...)

Commentaire : la Comédie-Française figure au banc des accusés, chose historiquement absurde, ainsi que M. Michel le rappelle eu égard à la relation historique entretenue entre celle-ci et l'auteur au début du XXe siècle. De même, le refus du Musée d'Orsay demeure incompréhensible, et c'est peut-être là que réside le plus gros des scandales. Loués soient la BNF et le musée Rodin, pourtant en pleine année du centenaire de la disparition de l'illustrissime sculpteur, dont les célébrations officielles risquent fort d'être (presque) les seules en 2017 (nous y reviendrons courant mars sur ce même blog).
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Les raisons profondes de ce rejet institutionnel d'Octave Mirbeau en l'an 2017 restent à éclaircir. Tandis que Zola ou Maupassant, ses plus ou moins contemporains (qu'il enterra) sont les chouchous de la rue de Grenelle, du Conseil supérieur des programmes du Ministère de l'Education nationale, Octave Mirbeau se trouve à peu près exclu, à la marge. Le début de l'entretien de Diacritik nous fournit des éléments de réponse d'une rare pertinence : 

 
Octave Mirbeau a été très reconnu et important à son époque mais il me semble qu’il est aujourd’hui, d’un point de vue historique, un auteur moins mis en avant que d’autres, comme par exemple Zola ou Maupassant. Comment avez-vous rencontré cette œuvre et qu’est-ce qui vous a retenu dans celle-ci ?
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Pierre Michel : Effectivement, malgré la variété et la force de son œuvre littéraire, malgré l’actualité stupéfiante de ses combats éthiques et esthétiques, qui expliquent la ferveur ce tous ceux qui le découvrent ces dernières années, Octave Mirbeau est loin d’être reconnu institutionnellement, que ce soit dans les manuels scolaires, où son entrée est très modeste et tardive, dans les histoires de la littérature, où on le classe généralement parmi les « petits naturalistes », et dans les commémorations diverses et variées. L’abstention du Ministère dit de la « Culture », qui n’a même pas apporté son haut patronage, purement symbolique, et n’a accordé aucune espèce d’aide à la commémoration Mirbeau de 2017, est symptomatique à cet égard de l’inertie institutionnelle, voire du boycott dont le grand écrivain est victime. De même que le scandaleux refus du Musée d’Orsay d’accueillir un hommage au chantre de Monet, Rodin, Van Gogh, Pissarro, Cézanne, Camille Claudel, Maillol et Vallotton. Les fonctionnaires de l’art et de la culture, vilipendés par Mirbeau il y a plus d’un siècle, se vengent bassement quand il n’est plus là pour les livrer à la risée de ses lecteurs.

Autres symptômes de cet ostracisme institutionnel : le nombre dérisoire de rues portant le nom de l’auteur des Affaires sont les affaires, l’absence totale de lycée Octave Mirbeau, et l’existence d’un seul collège Octave Mirbeau, dans le village de Trévières, où il n’a fait que naître, alors que le conseil départemental de l’Orne vient de nouveau de refuser de baptiser de son nom le collège de Rémalard, le bourg du Perche où il a passé toute sa jeunesse et qu’il évoque dans nombre de ses contes et de ses romans…
Il y a à cela une explication simple : un siècle après sa mort, Octave Mirbeau continue de déranger. Zola pouvait choquer par sa transgression des bonnes mœurs littéraires, qui lui ont longtemps fermé la porte des lycées et des universités, jusqu’au début des années 1960, mais c’était un bon bourgeois qui gérait tranquillement sa carrière et son capital littéraire, qui accumulait des rentes, qui aspirait à la reconnaissance officielle – Légion dite « d’honneur », Académie, etc. – et qui, jusqu’à « J’accuse », ne constituait en aucune façon une menace pour l’ordre bourgeois. Maupassant encore moins, qui se tenait à l’écart des luttes politiques et sociales et que son pessimisme ne prédisposait aucunement à l’engagement.
Le cas Mirbeau est totalement différent. Car, après ses années de prolétariat de la plume, quand il entreprend d’écrire pour son propre compte et de défendre ses propres valeurs, il fait de sa plume une arme au service de ses idéaux et il entre totalement en dissidence par rapport aux institutions, qu’il ne cessera plus de démystifier et de vouer au ridicule qui tue. Mirbeau, c’est du vitriol, ou de la dynamite. Et son arme la plus efficace est la dérision, qui vise à désacraliser et démystifier les hommes respectés, que ce soit pour leur pouvoir, leur richesse ou leur réussite sociale, les institutions supposées respectables et dûment sacralisées, telles que l’Armée ou l’Institut, l’Église ou la Justice, et les fausses valeurs consacrées, telles que le patriotisme ou les décorations, le suffrage universel ou les millions d’Isidore Lechat. (...)


Commentaire de conclusion : tout s'éclaire désormais : Octave Mirbeau d'une part a été longtemps mal compris, mal interprété, mal classé dans les mouvements littéraires de son temps et, d'autre part, son impertinence moqueuse de toute institution dérange encore nos pontes, nos autorités du XXIe siècle : pour celles-ci, c'est de l'insolence mal placée qui mérite qu'on la boycotte...

Prochainement : Delacroix à Saint-Sulpice ou le deux poids deux mesures de la politique officielle de restauration des oeuvres d'art.

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