samedi 30 janvier 2016

Du sabotage par France Télévisions de la diffusion de la saison 9 de Doctor Who.

(...) Il est certain que les affaires humaines iraient beaucoup mieux si l'homme avait autant le pouvoir de se taire que de parler. (Baruch Spinoza Ethique, III, 2, scolie).

https://upload.wikimedia.org/wikipedia/fr/f/fa/Logo_des_chaines_du_Groupe_Francet%C3%A9l%C3%A9visions_avril_2008.jpg

Depuis qu'elle a pris la tête de France Télévisions, Madame Delphine Ernotte nous donne la fâcheuse impression de passer son temps à vouloir araser les pans de murs dépassant encore du champ de ruines laissé par son prédécesseur, comme si elle voulait métamorphoser ces décombres en une pénéplaine. Elle multiplie pour ce faire les signaux négatifs. L'un de ceux-ci est l'exclusion de la première partie de soirée de la diffusion de la saison 9 de Doctor Who sur France 4. Inutile de rappeler les autres signaux, des plus anodins aux plus significatifs, mais je ne puis résister à la tentation de vous les énumérer : 
- suppression mi-décembre 2015 de La Galerie France 5, unique émission régulière de France Télévisions qui traitait des arts plastiques non contemporains et des musées, complétant ce qu'Arte ne traite pas et palliant parfois ses manques et ses oublis ;
- suppression annoncée de Trente millions d'amis ;
- non programmation (pour l'instant ? ) des deux ultimes téléfilms de la fabuleuse série Nicolas Le Floch (dont Le Cadavre anglais) pourtant tournés respectivement depuis mars et mai 2015 ;
- limogeage de Julien Lepers au nom du "jeunisme chébran" qui fait des ravages depuis le retournement de veste de la "gauche" en 1983 ; 
https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/7/7b/Julien_Lepers_2014.jpg
- raccourcissement de 15 minutes de la retransmission d'Euronews sur France 3 le matin à 6 h. Je dois oublier des choses...
Le sieur Rémy Pflimlin avait achevé son triste "règne" en déprogrammant à jamais l'émission historique de Franck Ferrand L'Ombre d'un doute après avoir banni de France Télévisions toute production fictionnelle en costumes située antérieurement à l'après guerre 14-18 ! 
 https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/c/c8/Franck_Ferrand_20100329_Salon_du_livre_de_Paris_3.jpg/220px-Franck_Ferrand_20100329_Salon_du_livre_de_Paris_3.jpg
Maintenant, c'est à Doctor Who de payer, injustement. Jamais jusqu'à présent France 4 n'avait privé cette fabuleuse et indispensable série de SF sortant de l'ordinaire (la seule de ce genre que je prise diffusée par le groupe, tiens, tiens...)  de la diffusion en première partie de soirée. Place aux programmations chaotiques, aux horaires élastiques (quarante-cinq minutes de retard un certain samedi de janvier 2016 !), au mépris pour le téléspectateur ! A la place de Doctor Who, quoi ? Des téléfilms ratés, presque excrémentiels de médiocrité, injustifiables, parfois déjà passés et repassés tels des plats réchauffés pruinés de pourriture, des compétitions sportives d'intérêt mineur pour une chaîne dépourvue évidemment du budget d'acquisition des droits de retransmission des manifestations majeures appréciées de beaucoup d'amateurs et supporteurs. 
https://upload.wikimedia.org/wikipedia/en/7/7b/Doctor_Who_Christmas_Carol.png
Et le samedi 6 février 2016 : nada pour Doctor Who ! Patientez jusqu'au 13 pour goûter aux trois derniers épisodes de la saison ! Pourquoi ? A cause de matchs de tennis hors saison et de faible enjeu et intérêt. Tout est bon pour saboter Doctor Who comme certains films ancrés dans une actualité terroriste brûlante que le déni général de nos politiciens à courte vue essaie d'occulter par tous les moyens, tels autrefois Staline et sa police secrète, le tristement célèbre NKVD. 
 https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/c/c6/Peter_Capaldi_June_2014.jpg/220px-Peter_Capaldi_June_2014.jpg
Soutenez Doctor Who ! Cette saison 9 en vaut la peine et le détour ! Soutenez Peter Capaldi et Jenna Coleman (qui fait à cette occasion des adieux bouleversants à la série) ! Non aux diktats de l'okrana hayekienne de Madame Ernotte et ses pygmées de gardes blancs directeurs de programmes ! Il faut toujours savoir dire non à l'ineptie, à l'incurie et à la gabegie ! 
https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/c/ca/Towel_Day_2013_Jenna_Coleman_cropped_retouched.jpg 

Saviez-vous que Doctor Who a servi de tremplin à la carrière de nombreux comédiens, reflets de la diversité culturelle et ethnique britannique ? Saviez-vous qu'une des plus importantes actrices anglaises contemporaines, Carey Mulligan, avait été la vedette d'un épisode majeur de Doctor Who, Les Anges pleureurs ?
https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/c/c3/Carey_Mulligan_2,_2013.jpg/220px-Carey_Mulligan_2,_2013.jpg
Regardez Doctor Who à la télé avant qu'il ne soit trop tard et que France 4, prétextant la faible audience occasionnée par le chaos de diffusion intentionnel, la supprime de sa grille !
A bientôt pour un autre billet.  

samedi 23 janvier 2016

Ces écrivains dont la France ne veut plus 11 : Anna de Noailles.




https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/3/3e/Laszlo_-_Anna_de_Noailles.jpg/170px-Laszlo_-_Anna_de_Noailles.jpg

Chaque fois que Marchais ouvre son claque-merde, il perd 10 000 électeurs. (ma mère dans les années 1980)

M. Safety :
- Tiens mon pote ! ... une bien mûre.
L'agent de police :
- Une grenade... toute une grenade pour moi tout seul ! 
Baom (explosion)
L'agent de police :
- Oh ! Merci, Monsieur Safety.
(Maurice Tillieux : Bob Slide  récit complet 33e Rue planche 2 cases 1 à 4 Spirou n° 1682 du 9 juillet 1970)

La comtesse Anna-Elisabeth de Noailles, née Bibesco Bassaraba de Brancovan, d'origine roumaine, vit le jour à Paris le 15 novembre 1876. Elle y mourut le 30 avril 1933. Cette personnalité souffre d'un désamour littéraire classique, source de malentendus, d'apriorismes et de clichés tenaces. On s'imagine une aristocrate spleenétique traînant son nonchaloir, sa mollesse salonarde (elle tint un salon réputé avenue Hoche que fréquentèrent André Gide, Paul Claudel,
 https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/1/11/Paul_Claudel_cph.3b31258.jpg/220px-Paul_Claudel_cph.3b31258.jpg
 Jean Cocteau, François Mauriac et Max Jacob), dans une société confite, fossilisée, prousto-décadente "Belle Epoque". On pense le style de ses poèmes, de ses romans, forcément daté, empesé, ampoulé, surfait. On peut la considérer comme illisible. Elle appartient à un monde qui ne nous parle plus, irrémédiablement distancié. Quel dommage, alors que cette femme défendit à sa manière la cause du féminisme. Sait-on qu'Anna de Noailles, toute mondaine qu'elle fût, est à l'origine du jury et du prix Fémina, via son ancêtre qu'elle contribua à créer : le prix "Vie Heureuse" ? Se souvient-on qu'elle devint la première femme commandeur de la Légion d'honneur ? Dois-je rappeler son élection à l'Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique, des années avant que notre Quai Conti hexagonal se décidât à accueillir Marguerite Yourcenar ? 
Anna de Noailles, c'est cela. Une femme de son temps ne pouvait espérer mieux, sachant ce que pèsent les hochets d'une gloire éphémère. Qui lit encore son premier recueil de poésie Le Coeur innombrable paru en 1901, à l'orée du XXe siècle ? Une simple anthologie est disponible en poche, mais elle suffit à convaincre du talent d'Anna de Noailles, à défaut d'assurer sa résurrection littéraire.
Souvenez-vous de l'écrivain d'exception que fut François-Régis Bastide (1926-1996),
 http://www.babelio.com/users/AVT_Francois-Regis-Bastide_5614.jpeg
 lui aussi oublié, qui se trompa lourdement lorsqu'il crut prophétiser le retour en vogue du comte Arthur de Gobineau.
 https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/5/5c/Arthur_de_Gobineau.jpg/220px-Arthur_de_Gobineau.jpg
 Rendez-vous sur Ina.fr pour vous en assurer et visionnez la vidéo appartenant à la série d'émissions littéraires Portrait Souvenir de Roger Stéphane traitant de Gobineau. On peut être de gauche et faire l'éloge du roman Les Pléiades. Des personnes cultivées et engagées peuvent parfaitement s'enticher des vers d'une comtesse roumaine, pourquoi pas ?

Anna de Noailles essaya de synthétiser le romantisme et la modernité 1900. Elle fut lyrique, passionnée, chanta les louanges de la nature tout en parlant des thèmes éternels de l'amour et de la mort. Jugez-en par cet extrait du poème L'Offrande à la nature dans Le Coeur innombrable :

Nature au cœur profond sur qui les cieux reposent,
Nul n’aura comme moi si chaudement aimé
La lumière des jours et la douceur des choses,
L’eau luisante et la terre où la vie a germé.

La forêt, les étangs et les plaines fécondes
Ont plus touché mes yeux que les regards humains,
Je me suis appuyée à la beauté du monde
Et j’ai tenu l’odeur des saisons dans mes mains.


J’ai porté vos soleils ainsi qu’une couronne
Sur mon front plein d’orgueil et de simplicité,
Mes jeux ont égalé les travaux de l’automne
Et j’ai pleuré d’amour aux bras de vos étés.
(...)

https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/0/0a/Anna_de_Noailles_1913.png/220px-Anna_de_Noailles_1913.png

 Bien qu'elles eussent été de la même génération (un an les séparait), il serait hasardeux de comparer Anna de Noailles et Renée Vivien, sa contemporaine morte prématurément en 1909. L'une était à la marge, l'autre universellement admirée et louée. Pauline Benda alias Madame Simone, bon témoin de cette Belle Epoque littéraire foisonnante, se souvenant encore de notre poétesse et romancière alors qu'elle-même approchait de ses cent  ans. C'est Madame Simone qui fit connaître Cocteau à Anna de Noailles.
https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/f/fb/Simone_le_Bargy.jpg

Anna de Noailles nous interroge sur la survivance posthume de la littérature, sur la destinée post-mortem des textes une fois leurs auteurs disparus. Je n'affirme nullement que tout vaille la peine d'être retenu chez notre romancière et versificatrice inspirée.
Le sentiment de la Mort contrebalançant la Vie est le thème, le topos dominant au centre de celui que j'estime être le plus passionnant des recueils poétiques que nous légua Anna de Noailles : Les Vivants et les Morts, paru en juin 1913. Il appert qu'Aurore-Marie de Saint-Aubain (personnage purement fictif de mon acabit), George Sand, John Ruskin, Alfred de Musset, Franz Liszt, Robert Schumann, Richard Wagner, Marcel Proust ou Serge de Diaghilev ne furent pas les seules personnalités sur lesquelles l'horizon chimérique vénitien exerça une attraction morbide, hallucinatoire et fantasmatique. La comtesse de Noailles, touchée par ce symptôme typique, joint la Folie à la Mort lorsqu'elle évoque l'île San Clemente, qui abrita l'asile des femmes aliénées à compter de 1880.

L'Île des folles à Venise. 


La lagune a le dense éclat du jade vert.
Le noir allongement incliné des gondoles
Passe sur cette eau glauque, et sous le ciel couvert.
-- Ce rose bâtiment, c'est la maison des folles.

Fleur de la passion, île de Saint - Clément,
Que de secrets bûchers dans votre enceinte ardente!
La terre desséchée exhale un fier tourment,
Et l'eau se fige autour comme un cercle du Dante.

-- Ce soir mélancolique où les cieux sont troublés,
Où l'air appesanti couve son noir orage,
J'entends ces voix d'amour et ces coeurs exilés
Secouer la fureur de leurs mille mirages!

Le vent qui fait tourner les algues dans les flots
Et m'apporte l'odeur des nuits de Dalmatie,
Guide jusqu'à mon coeur ces suprêmes sanglots.
-- O folie, ô sublime et sombre poésie!

Le rire, les torrents, la tempête, les cris
S'échappent de ces corps que trouble un noir mystère.
Quelle huile adoucirait vos torrides esprits,
Bacchantes de l'étroite et démente Cythère?

Cet automne, où l'angoisse, où la langueur m'étreint,
Un secret désespoir à tant d'ardeur me lie;
Déesse sans repos, sans limites, sans frein,
Je vous vénère, active et divine Folie!

-- Pleureuses des beaux soirs voisins de l'Orient,
Déchirez vos cheveux, égratignez vos joues.
Pour tous les insensés qui marchent en riant,
Pour l'amante qui chante, et pour l'enfant qui joue.

O folles! aux judas de votre âpre maison
Posez vos yeux sanglants, contemplez le rivage:
C'est l'effroi, la stupeur, l'appel, la déraison,
Partout où sont des mains, des yeux et des visages.

Folles, dont les soupirs comme de larges flots
Harcèlent les flancs noirs des sombres Destinées,
Vous sanglotez du moins sur votre morne îlot;
Mais nous, les coeurs mourants, nous, les assassinées,

Nous rôdons, nous vivons; seuls nos profonds regards,
Qui d'un vin ténébreux et mortel semblent ivres,
Dénoncent par l'éclat de leurs rêves hagards
L'effroyable épouvante où nous sommes de vivre.

-- Par quelle extravagante et morne pauvreté,
Par quel abaissement du courage et du rêve
L'esprit conserve-t-il sa chétive clarté
Quand tout l'être éperdu dans l'abîme s'achève?

-- O folles, que vos fronts inclinés soient bénis!
Sur l'épuisant parcours de la vie à la tombe
Qui va des cris d'espoir au silence infini,
Se pourrait-il vraiment qu'on marche sans qu'on tombe?

Se pourrait-il vraiment que le courage humain,
Sans se rompre, accueillît l'ouragan des supplices?
Douleur, coupe d'amour plus large que les mains,
Avoir un faible coeur, et qu'un Dieu le remplisse!

-- Amazones en deuil, qui ne pouvez saisir
L'ineffable langueur éparse sur les mondes,
Sanglotez! A vos cris de l'éternel désir,
Des bords de l'infini les amants vous répondent...
 
https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/e/e5/San_Clemente_(Venice)_-_View_from_Giudecca.jpg/330px-San_Clemente_(Venice)_-_View_from_Giudecca.jpg 

L'asile central des femmes de San Clemente ne fut fermé qu'en 1992. 
Les Eblouissements (1907) comprennent aussi des pages magnifiques : Jardin d'enfance, Aube sur le jardin, Crépuscule dans les jardins, Déchirement etc. Autant de variations autour d'un motif monothématique tels avant elle Jean-Sébastien Bach avec Les Variations Goldberg ou Beethoven avec les Diabelli, Anna de Noailles renouvelant son inspiration et transmutant la musique en poésie, musique de la Nature, de la Végétation, du papillon, de l'herbe, du sol, éclats de couleurs, noces et osmose terminale, synthèse finale, symbiotique et intégrale entre les différents arts poétique, pictural et sonore.
N'omettons pas l'oeuvre romanesque de notre comtesse d'origine roumaine, même si je juge qu'elle ne vaut pas sa poésie. Malgré leur féminisme assumé, La Nouvelle Espérance (1903) ou encore La Domination (1905) pour ne citer que deux titres caractéristiques de l'art romanesque d'Anna de Noailles, demeurent des oeuvre littéraires mineures, assez conventionnelles, marquées par leur époque (c'était la vogue du roman psychologique à la Paul Bourget) bien que la prose y soit séduisante et somme toute le style clair, exempt de ces ampoulements issus de la décadence fin-de-siècle. Au contraire, le recueil de nouvelles publié en 1923, Les Innocentes ou la Sagesse des Femmes, malgré un certain moralisme classique, soutient la comparaison avec le meilleur de la production anglo-saxonne. Anna de Noailles et Edith Wharton, notre américaine francophile et grande amie de Henry James se connurent, même si je ne puis soupçonner une influence réciproque. Edith Wharton composa des poésies, partie ce me semble la moins souvent abordée de son oeuvre au contraire d'un Thomas Hardy qui finit par délaisser les romans au seul bénéfice de la muse. 
 https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/3/3a/Edith_Newbold_Jones_Wharton.jpg/800px-Edith_Newbold_Jones_Wharton.jpg

De fait, ces différentes écrivaines ne firent que refléter une esthétique "d'époque", un climat particulier, une atmosphère surannée typique avec leur talent (qui fut grand), un stade de l'évolution de la littérature qui pourrait nous intéresser de nouveau pourvu qu'on s'y penchât avec attention.
Pour terminer, il me faut citer au passage la tentative d'Anna de Noailles d'écrire son autobiographie en 1932, un an avant sa disparition prématurée. Ce texte, inachevé, se restreint certes à son enfance et son adolescence, non pas qu'il y manque l'essentiel de l'expression d'une âme forte (pour paraphraser Jean Giono) que le physique de brune mélancolique et évanescente (ce fut une fort belle femme, qui eut des amants notables) ne laissait pas deviner. Les éditions Bartillat eurent l'idée judicieuse de rééditer en 2008 Le Livre de ma Vie. Ses 280 pages peuvent nous paraître succintes relativement à la promesse qu'eût recelée un ouvrage mené à son terme qui aurait fait revivre tout cet univers 1900 délétère moqué par Marcel Proust. 

La prochaine fois, je serai obligé de vous parler d'un scandale en cours : la diffusion chaotique confinant au sabotage de la saison 9 de Doctor Who avec Peter Capaldi, comédien extraordinaire s'il en est, qu'on l'aime ou le déteste.
https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/2/24/Peter_Capaldi_by_Gage_Skidmore.jpg

samedi 9 janvier 2016

Les romans peu traités, négligés ou boycottés de la rentrée littéraire 2015.

Ô, personnes innombrables connectées sans fin aux écrans nomades, smartphones, tablettes et montres, comme je vous plains ! Vous êtes des victimes addictives qui s'ignorent. Vous êtes pistés, fliqués, par les marchands ! Big Hayek is watching you ! (chroniques de Moa)

Social d'abord ! (l'anti Charles Maurras)

Le ravi est de plus en plus ravi. (Jaf : Monsieur Jujube in Le Provençal vers 1980)

Et voilà : vous voyez ce que ces pages ont fait de moi ? Je ne serais pas surpris si ce récit participait encore un peu plus à l'extrême-droitisation de la pensée en France. (Laurent Nunez A dire vrai : "Edouard Louis en pleine complaisance." In Marianne n° 978 8-14 janvier 2016 p. 70)

 
Dans la littérature, les sujets qui concernent les aventures amoureuses ou, plus crûment, les relations sexuelles, sont bien entendu les pièces de choix. Ainsi, chaque année fleurissent des "angoteries" (à la manière de Christine Angot), des romans racontant comment l'auteur ("d'après une histoire vraie") a été violé par son père, a couché avec sa mère, vit en ménage avec sa soeur, a sodomisé son frère (ou sa soeur, sa mère, son père, son chien etc.). A partir de ces données de base se greffent toutes les variations possibles sur les protagonistes : catholique fervente devenue musulmane intégriste, monstre aux difformités physiques répugnantes, anorexique spécialiste de Heidegger ou ancien des Einsatzgruppen (unités d'extermination de l'Allemagne nazie), boulimique graphomane adepte du kung-fu etc. Ce serait comique si ces niaiseries et leurs hérauts n'occupaient tout le territoire des lettres et ne repoussaient les romans affrontant la montagne littérature dans les bantoustans solidement protégés par les barbelés afin que nul n'en sorte. (Gérard Mordillat : "Le sujet ! le sujet ! le sujet !" in Le Monde diplomatique n° 742 janvier 2016 p. 28)


L'autofiction est devenue, en ce premier quart du XXIe siècle, un topos autodestructeur de la littérature. Les deux dernières citations, véridiques et toutes récentes en ouverture de ce billet, surtout la longue diatribe de Gérard Mordillat, sont en totale adéquation et harmonie avec ma propre opinion. On ne peut taxer ces auteurs et chroniqueurs remarquables de dérive extrémiste et haineuse à la Richard Millet ou de dérapage non contrôlé à la Jean Clair. Non, ces citations méritent qu'on s'y attarde tant elles trahissent un avachissement, une déréliction, un dépérissement de la littérature au profit de l'a-littérature. Je puis parler en toute connaissance de cause d'anti-écriture contemporaine dans laquelle le souffle, l'épopée, mais aussi la dénonciation de l'horreur sociale, de l'injustice, se sont effacés au profit d'une doxa du renoncement, du repli en position foetale. Le tout se conjugue avec une disneylandisation croissante de la culture, des musées, des sites, des monuments, métamorphosés en parcs d'attractions, en fêtes foraines mercantiles et factices, dérives déjà dénoncées en leur temps par Douglas Preston et Lincoln Child dans leur chef-d'oeuvre du thriller La Chambre des Curiosités au sujet des muséums d'histoire naturelle américains. Le marché proliférant tel un cancer, a contaminé la culture, s'étant d'abord attaché au démantèlement de celle du peuple, impulsée d'en bas, au profit d'une culture de masse uniformisée, impulsée d'en haut. Lisez les travaux de Robert Muchembled...
http://static.fnac-static.com/multimedia/images_intervenants/Portraits/Grand/0/9/44590.gif
Il est donc logique, significatif, en ce monde littéraire topique tournant au diktat hayekien, qu'après le scandale du boycott critique quasi général du dernier roman d'Alexis Jenni au printemps 2015, La nuit de Walenhammes, les tenants de la doxa officielle a-littéraire se soient attachés à ignorer plusieurs titres parus cet automne, ou à à peine les évoquer le temps d'un article unique et volatil, tant ils n'entraient pas dans le moule stalinien inverti par Hayek et Friedmann, tant ils n'étaient pas conformes à la ligne du parti unique littéraire topique. 
J'en évoquerai quelques-uns. Après une brève parenthèse située entre août 2014 et janvier 2015, flambée éphémère au cours de laquelle la critique s'intéressa enfin à des romans historiques remarquables tels Karpathia de Mathias Menegoz et Evariste, de François-Henri Désérable, il semblerait qu'elle soit retombée depuis dans ses travers ignorantins habituels, à l'exception notable de Solstice de François Taillandier et du Fleuve Guillotine d'Antoine de Meaux, seuls en leur genre à avoir trouvé les faveurs de "la bande des quatre", ainsi que je surnomme le quatuor composé de Télérama, du Monde des livres, de Lire et du Magazine littéraire. Ce quatuor tend à donner le la, et malheur aux romancières et romanciers ignorés par lui.

Le cas le plus emblématique est constitué par Re-vive l'Empereur de Romain Puértolas.
 http://a.decitre.di-static.com/img/200x303/romain-puertolas-re-vive-l-empereur/9782842638450FS.gif
 Le Monde feint l'étonnement à propos de l'insuccès notable de ce bouquin -  presque une exception parmi d'autres fictions abordant avec plus ou moins de brio le problème du fondamentalisme musulman - alors qu'il y a contribué en ne publiant strictement aucune ligne à son sujet, après pourtant l'avoir cité dans la liste des parutions de la rentrée littéraire 2015. Sans doute a-t-il été considéré comme une pochade pour potaches non politiquement correcte à cause de son sujet et de son humour gênant, vu qu'il parle d'un retour inopiné et rocambolesque de Napoléon au XXIe siècle, l'Empereur recrutant une nouvelle Grande Armée hétéroclite pour combattre les islamistes. La thématique n'était pas nouvelle, un peu usée peut-être : le retour des grands personnages historiques, bons ou méchants, a été récemment illustré par Benoît Duteurtre avec de Gaulle (Le Retour du Général), Timur Vermes avec Hitler (Il est de retour) sans omettre la parution début 2015 de Monsieur Mozart se réveille de Eva Baronsky. De même, on peut penser à L'Homme à l'oreille cassée d'Edmond About, voire au film Hibernatus et à la bande dessinée Onkr de Tenas, Malac et Yvan Delporte, qui fit les beaux jours du Journal de Mickey entre 1961 et 1972.
http://www.babelio.com/couv/CVT_Professeur-Onkr_3167.jpeg
Pourtant, Romain Puértolas s'était taillé un joli succès de librairie avec son Extraordinaire voyage du fakir coincé dans une armoire Ikea.
Parmi d'autres titres ayant eu un faible écho, force est de constater que cet écho faiblard, ténu, s'est limité soit à un silence radio, soit à une unique ou presque critique négative, soit à une mention en retard, soit enfin à quelques articles réduits, trop laconiques, sans analyse de fond. Or, la plupart de ces écrits se rattachent comme par hasard à la fiction historique et l'on connaît la propension de la majorité des écrivains en vogue et de leurs thuriféraires mal emplumés de ne traiter que l'éternel présent immédiat narratif. Concernant le genre historique si malmené et négligé, la sélection des meilleurs romans 2015 de Lire trahit  la préférence indiscutable des critiques pour des ouvrages privilégiant, à l'érudition (soi-disant étouffante, moi, personnellement, je ne trouve pas), l'audace de l'anachronisme assumé, comme dans Evariste. Il s'agit là d'un retour partiel à Dumas, dont les erreurs, flagrantes, n'enlevaient rien au souffle de l'ensemble (pour rappel, dans Le Vicomte de Bragelonne, il faisait mourir Gaston d'Orléans après Mazarin).
Cependant, ces critiques instruisent un mauvais procès à l'encontre d'auteurs et d'auteures dont les oeuvres, loin d'être négligeables, reposent sur une documentation solide et incontestable, qui est loin de noyer et d'affadir leur style comme ils ou elles le prétendent. Tout roman de fiction historique peut certes se permettre de prendre des libertés avec l'histoire, en particulier celle des universitaires, mais les critiques préférant Evariste (que j'adore) à tout le reste, contredisent un autre courant de doctes esprits détestant les fictions trop libres, notamment celles relevant du cinéma, ou de la télévision, qui assument leur liberté foutraque imaginative telles par exemple les séries Da Vinci's Demons, The Musketeers ou Versailles fourmillant d'erreurs volontaires, véritables relectures plus ou moins jubilatoires de la science historique : ce sont des romans-feuilletons filmés, des réinterprétations, des revisites dépoussiérées de la grande Histoire,  non point des oeuvres de doctes chercheurs empesés, encroûtés en leur académisme, alors, pourquoi d'un côté rejeter les romans érudits comme Opéra anatomique de Maja Brick, sorti depuis 4 ans sans que personne n'en ait jamais causé, y compris sur le site Babelio, et de l'autre vouer Da Vinci's Demons aux gémonies ? Quelle contradiction !
Trois romans historiques des éditions Gallimard apparaissent comme les plus grands perdants de l'automne littéraire 2015 :
- Daniel Avner a disparu, d'Elena Costa, sur la Shoah (un micro article dans Le Monde des Livres ; seul L'Huma a fait son boulot en proposant sur son site la lecture gratuite des premières pages de l'oeuvre, tiens tiens...) ;
- Le Censeur, de Clélia Anfray, sur les rapports houleux entre Victor Hugo et le critique officiel Charles Brifaut (dont la vie de ponte nous est contée) sous Charles X (un article dans Télérama, deux mois après la sortie du livre) ;
http://static.fnac-static.com/multimedia/Images/FR/NR/38/95/6c/7116088/1540-1.jpg
- Le Secret de l'Empereur d'Amélie de Bourbon Parme, sur Charles Quint et les horloges (presque rien à l'exception de périodiques à la marge de la critique littéraire qui n'est pas leur spécialité, Le Monde n'ayant consacré qu'un article en ligne hostile à l'auteure : Le grand écart littéraire d'Amélie de Bourbon Parme, parce qu'elle promeut l'édition sur Amazon tout en étant publiée par le plus classique et fondamental des grands éditeurs papier traditionnels français). En dehors de la blogosphère, nada pour ce dernier titre. Fait-on payer à l'écrivaine son union avec le controversé Igor Bogdanov ? Si c'est avéré, je trouve cela mesquin.
http://www.gallimard.fr/var/storage/images/product/1f6/product_9782070767847_195x320.jpg
D'ailleurs, vaut-il mieux un article de presse négatif que pas de critique du tout ? A l'heure où Richard Millet, que l'on sait avoir rompu avec son milieu et s'être marginalisé volontairement, tel un Léon Bloy, se retrouve parmi les auteurs les plus boycottés de l'automne 2015, peut-être vaudrait-il mieux une descente en flammes ayant le mérite de la franchise qu'un silence embarrassant.
Je connais un exemple de critique négative ne s'étant pas gênée : il concerne La Saison des Bijoux, d'Eric Holder. Une collègue du café littéraire que je fréquente mensuellement reprochait à l'intelligentsia critique d'avoir insuffisamment parlé de ce bouquin, passé quelque peu inaperçu, et que c'était un fait regrettable, parce qu'il s'agissait de son "coup de coeur" personnel. Le roman d'Holder, selon elle, a le mérite de bien se terminer, et c'est un point positif en ce monde baignant dans un cortège quotidien d'horreurs anxiogènes. Or, ce roman, qui parle du milieu des forains, des marchands ambulants, malgré un avis favorable de Télérama (même écho positif chez Bibliobs), a reçu un coup de semonce de l'hebdomadaire Marianne. Dans son numéro 957 du 21 août 2015, le magazine consacrait tout un dossier intitulé : "Rentrée littéraire : les flops", où Christine Angot, un fois n'est pas coutume, en prenait encore pour son grade, Delphine de Vigan aussi. Elles furent cependant primées, au contraire d'Eric Holder dont La Saison des Bijoux est qualifié par la critique Juliette Einhorn de "camelots de la camelote".

 http://static.fnac-static.com/multimedia/Images/FR/NR/77/94/6c/7115895/1540-1.jpg

La prochaine fois, j'aborderai enfin le cas Anna de Noailles.