jeudi 22 octobre 2015

Ma rencontre avec Etienne Klein.

J'ai eu le privilège de rencontrer le physicien et philosophe des sciences Etienne Klein à l'occasion d'une conférence donnée à la fin du mois de septembre 2015 sur le thème : "L'Univers a-t-il connu l'instant zéro ?".

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Cette conférence était organisée par une association philosophique dénommée Agora,
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 qui constitue un pôle de résistance culturel, intellectuel, à la politique d'une municipalité méridionale dirigée depuis vingt années par un véritable "podestat". Cet homme au visage patelin n'a rien à envier au fameux personnage de Sam le Fermier de la célèbre bande dessinée  Lucky Luke contre Joss Jamon par Morris et Goscinny.  A noter que la figure de Pete l'Indécis, membre de ce gang de malfrats, est une caricature de René Goscinny. Toujours est-il que notre Sam le Fermier provençal ne conçoit la politique culturelle qu'en tant que manifestation démagogique aux aspects Völkisch et Blut und Boden marqués, accommodés à la sauce provençale (mais non pagnolesque) et entrecoupés de théâtre de boulevard archi franchouillard sans omettre des revendications sudistes, ligueuses et romaines dignes d'un Duce de caf'conc'.

Etienne Klein est né à Paris le 1er avril 1958.  Il est directeur de recherche au CEA (Commissariat à l'Energie Atomique) et dirige le laboratoire de recherche sur les sciences de la matière. Vulgarisateur de génie, auteur de multiples ouvrages passionnants souvent disponibles en édition de poche chez Champs Flammarion, il a publié récemment un livre consacré à un physicien italien mystérieusement disparu officiellement en mer en mars 1938 : En cherchant Majorana (éditions Folio Gallimard). Ettore Majorana rappelle Rudolf Diesel (disparu lui aussi en mer, en 1913) et Louis Aimé Augustin Leprince, pionnier du cinéma (pour lui, ce fut le chemin de fer, en 1890).

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On sait que la vocation scientifique d'Etienne Klein lui est venue à la lecture du maître livre de Bernard d'Espagnat (1921-2015) paru en 1979 : A la recherche du réel : le regard d'un physicien réédité cette année chez Dunod. Comme je l'avais escompté et fait savoir sur ce blog, j'espérais poser à Etienne Klein des questions sur Bernard d'Espagnat et sa conception du réel dans l'univers, mais le sujet prenant de la conférence m'a aiguillé en direction d'un tout autre questionnement.

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L'argument résumé de la conférence, tel que rédigé par Agora, mérite d'être communiqué au lectorat de ce blog :



D’où vient l’univers ? Et d’où vient même qu’il y ait un univers ? Cette question de l’origine demeure la plus mystérieuse de toutes, la plus vertigineuse, d’où la profusion de discours — mythologiques, religieux ou philosophiques — qui tentent d’y répondre. C’est grâce à la science, aux découvertes de Newton, Einstein, Hubble, Friedmann et Lemaître, qu’on peut retracer le grand récit de l’univers, remonter son histoire à 13,7 milliards d’années, jusqu’à cette phase très dense et très chaude qu’on a appelée le big bang. Mais celui-ci est-il vraiment, comme on l’a imaginé, cette explosion originelle qui aurait créé tout ce qui existe ? Qu'en dit au juste la cosmologie contemporaine ?

Je suis parvenu à la salle de conférence bien avant 20h30 : elle commençait déjà à être bondée : le conférencier s'est donc taillé un beau succès. A noter que, tel Einstein ne portant jamais de chaussettes parce qu'il estimait que celles-ci sont faites pour être trouées, notre physicien français arborait un lacet défait à une chaussure.

 Etienne Klein a fait comprendre au fil de son récit fascinant qu'il était pour le moins simpliste et malencontreux de parler d'origine de l'univers, de lui attribuer un commencement précis, même si on évalue son âge à 13,7 milliards d'années car c'était donner une valeur événementielle historique a posteriori, conforme aux connaissances acquises à un certain moment de l'avancée de l'histoire des sciences, à des faits théoriques se heurtant aux limites actuelles de la physique : il est donc impossible de dire si le fameux Big Bang est bien le "commencement" de l'univers ou un "commencement" provisoire dû au fait qu'on ne peut encore décrire, en l'état actuel de nos connaissances, ce qu'il y avait "avant". Les physiciens en sont réduits à des hypothèses, des extrapolations théoriques : il s'agit pour eux de parvenir à une théorie du tout, de la grande unification des quatre forces fondamentales de l'univers (électromagnétisme, gravitation, interactions nucléaires forte et faible), à pouvoir concilier physique des particules, physique quantique et relativité générale d'Einstein, infiniment petit et infiniment grand. Etienne Klein reproche aux journalistes vulgarisateurs de la télé de trop simplifier, de mal appréhender la complexité de la question de l'origine de l'univers.

De fait, ce que nous savons décrire, raconter, c'est l'après Big Bang, le scénario de la nucléosynthèse primordiale, de la phase inflationnaire de l'univers, de son expansion, du comment se sont constitués quarks puis atomes et éléments de la table de Mendeleïev (à commencer par l'hydrogène et l'hélium), du comment sont nées les étoiles, les galaxies, de leur évolution, de leur mort...jusqu'à celle de l'univers lui-même. Etienne Klein nous a démontré l'importance des découvertes d'Einstein (relativités restreinte et générale) et expliqué le problème posé par la découverte du boson de Higgs (l'enjeu étant d'expliquer la brisure de l'interaction unifiée électrofaible - puisque l'on est parvenu à unifier l'électromagnétisme et l'interaction faible - et le fait que certaines particules élémentaires sont dotées d'une masse et d'autres pas) : le boson de Higgs suivait en son discours brillant un long développement partant des recherches de Galilée sur les "graves," la masse, que l'on confond souvent avec le poids. Nous nous étonnons de la loi stipulant que des objets tombent tous à la même vitesse  à cause de l'effet gravitationnel, qu'il s'agisse d'une plume ou d'un boulet de canon en fonte, bien que le bon sens et l'observation brute tendent à faire penser que forcément, le boulet pèse plus et choit plus vite que la plume qui elle prend tout son temps. En fait, l'on omet l'interaction de l'air, de la pesanteur (variant d'une planète à l'autre), alors que dans le vide, c'est la courbure de l'espace par la masse des astres qui joue.
La physique est faite de lois, a rappelé Etienne Klein. Cependant, il s'agissait pour notre physicien d'exposer les théories compétitrices dans l'extrapolation de l'anté univers, de l'instant zéro hypothétique, du pourquoi du Big Bang. 
L'hypothèse de la matière noire et de l'énergie noire ont changé la donne, de même que la théorie des super cordes. 
Comprenant qu'Etienne Klein exposait la théorie récente du Big Bounce ou rebond, hypothèse d'un univers antérieur au nôtre qui se serait contracté et aurait rebondi par le biais d'une singularité dite Big Bang (rappel de la théorie de George Gamov et de l'abbé Lemaître raillée par Fred Hoyle qui créa l'expression "Big Bang"), je l'ai questionné à l'issue de la conférence.
J'ai soutenu que ce "big bounce" sous-entendait la possibilité de l'existence d'univers cycliques, d'une succession de big crunches et de big bangs, alors que depuis 1998 et la révision du calcul de la constante de Hubble, l'on avait remarqué que l'expansion de l'univers était plus rapide (véloce dirais-je) que prévu, ce qui remisait l'idée de fin de l'univers par un big crunch dans la poubelle des hypothèses obsolètes. L'univers finirait donc en se dilatant indéfiniment.

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Etienne Klein m'a répondu que c'est la matière noire qui entraînait cette accélération de l'expansion, qu'elle servait de moteur à celle-ci. Il déclara être partisan de la théorie des supercordes, à l'échelle quantique, bien que je sache qu'existe aussi une théorie concurrente des branes qui synthétise cordes et branes (cosmologie branaire). Etienne Klein sous-entendait l'existence d'univers multiples fort différents du nôtre, cachés, repliés, inaccessibles. Des univers à plus de quatre dimensions...
Cependant, je l'ai aussi questionné sur la théorie d'Everett, des univers parallèles. Cette théorie fut émise en 1957, lorsque Hugh Everett soutint son doctorat. Elle est en concurrence avec plusieurs hypothèses rivales, dont aucune n'a été étayée par des expériences physiques, par exemple les univers bulles d'Andrei Linde.  La théorie d'Everett est une interprétation de la mécanique quantique visant à résoudre le problème de la mesure quantique.  Je cite Wikipedia :
Hugh Everett, qui l'a développée, estimait invraisemblable qu'une fonction d'onde déterministe donne lieu à des observations qui ne le sont pas, conséquence pourtant d'un postulat de la mécanique quantique, celui de la réduction du paquet d'onde. Ce postulat pose également un problème de cohérence mathématique avec le problème de la mesure quantique dans cette même théorie.
Selon lui, la seule source d'anti-hasard possible était l'observateur lui-même, ou plus exactement : sa nature d'observateur qui lui était propre (le résultat qu'il observait le caractérisant lui-même en tant que cet observateur) et ne concernait pas l'univers qui restait parfaitement neutre et comportait toutes les possibilités prévues par la théorie quantique. Les possibilités par lui observées définissaient seules l'observateur, qui ne percevait donc que cet univers-là1.
Cette interprétation inhabituelle rappelant le principe de l'action et de la réaction fut exposée dans sa thèse de doctorat en 1957 sous la direction de John Wheeler (voir la biographie). Celui-ci, réticent au départ, devint par la suite partisan enthousiaste de cette théorie — certes la seule à rendre compte sans paradoxe de la mécanique quantique — et nombre de physiciens au nombre desquels David Deutsch et Colin Bruce la considèrent la seule possible à ne pas nécessiter quelque deus ex machina introduisant en permanence de l'anti-hasard dans l'univers. Sans indiquer réellement son opinion sur cette théorie, le prix Nobel de physique 1969 Murray Gell-Mann montre pour elle, dans son livre le Quark et le Jaguar, une sympathie bienveillante.
On peut rapprocher cette théorie des calculs fondés sur l'ensemble des possibilités offertes au système, tels que l'intégrale de Feynman ou intégrale de chemin de Richard Feynman, ou le principe des puissances virtuelles.
La principale interprétation concurrente est l'interprétation transactionnelle de la mécanique quantique, plus étrange encore puisqu'elle fait l'hypothèse de messages allant dans les deux sens du temps.

Etienne Klein m'a fait savoir qu'il n'approuvait pas cette théorie. De fait la juge-t-il peut-être fumeuse, peu convaincante. Difficile de se faire une idée sans possibilité expérimentale pour quelque chose relevant du domaine de la science-fiction !
Outre moi-même, plusieurs personnes parmi le public ont interrogé Etienne Klein, lycéens comme retraités en quête de savoir érudit en ce monde dominé par une bêtise ambiante et désespérante. Grâce à Etienne Klein, impossible de mourir idiot !
Il était plus de 22h30 lorsque s'acheva cette soirée mémorable qui fut un franc succès m'allant droit au coeur. Tout se termina autour de produits et de vins bios.

Prochainement : retour à la série des écrivains dont la France ne veut plus (9e volet) avec un haut personnage du siècle de Louis XIV : Jacques Bénigne Bossuet.

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