samedi 13 décembre 2014

Les Krostons : une bande dessinée oubliée qui pourrait refaire prochainement surface.


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Bienvenue dans le monde d'Hayek (une publicité ultralibérale et ultra mensongère).

L'exclusion du poche constitue une forme majeure d'exclusion littéraire (aphorisme d'un écrivain rebelle).

Tout commença en le ci-devant numéro de Spirou 1589 du 26 septembre 1968. Une histoire à suivre assez déroutante débutée, signée d'une plume inconnue, se réclamant du réalisme : Max Ariane. Or, les esprits et les yeux attentifs, les personnes perspicaces (pas forcément parmi le lectorat le plus jeune), toutes celles qui sont expertes à déceler les styles graphiques, ne pouvaient être dupes, surtout s'il s'agissait de lecteurs familiers fréquentant Spirou depuis plusieurs années. Celui qui avait dessiné ces planches, c'était sans conteste Arthur Piroton (1931-1996), dont le dessin réputé froid avait déjà fait merveille dans Michel et Thierry, série consacrée à l'aéromodélisme scénarisée par Charles Jadoul (1930-1996), que Piroton venait juste d'abandonner. L'auteur cherchait à lancer une nouvelle bédé, et hésitait entre plusieurs projets et essais, dont Martin Lebart, qui ne connut qu'un épisode, paru à cheval entre 1967 et 1968. 
Piroton se retrouvait donc orphelin de héros dont il s'était lassé. Ce fut alors qu'une nouvelle sollicitation originale se fit : mettre ne scène un auteur de bédé, en une sorte d'autofiction (le terme n'était pas encore usité), auteur confronté aux affres de la création. Il allait de soi que les planches seraient signées par ce personnage fictif, par ce pseudonyme, Max Ariane. 
Il n'était nullement besoin en 1968 d'être un exégète pointu pour déceler, aussi bien dans le nom de l'auteur que dans son apparence physique, une caricature du chanteur de variétés Marc Aryan (1926-1985), qui avait plus que visiblement inspiré Arthur Piroton. 
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Cet excellent artiste (qui lui aussi mériterait d'être redécouvert),rencontra paradoxalement le succès au lancement des Krostons.
Ces Krostons, qui sont-ils ? La création de papier de Max Ariane, des lutins maléfiques, vêtus de longs manteaux verts, coiffés d'interminables chapeaux pointus cabossés dont la boucle est en forme de tête de mort. Leur carnation est verdâtre, leur nez gros, et c'est, avec leurs yeux, l'unique partie décelable de leurs visages que l'on suppose hideux et repoussants. De même, l'on pourrait penser que leurs trognes pourrait se dissimuler sous un masque semblable à celui de Zorro, ou des Rapetou, ou encore des conspirateurs du Schtroumpfissime. Extirpés à l'origine d'un grimoire médiéval dans lequel on les avait reclus puis oubliés, Max Ariane, en les dessinant, leur donne pour ainsi dire la vie : étrange et déroutante illustration de la création en bédé, quoique somme toute classique. Les Krostons sont maléfiques : ils parviennent à s'affranchir de leur créateur, s'échappent de la planche de bédé, acquérant une réalité charnelle en trois dimensions. Ils conservent la faculté de redevenir bidimensionnels, lorsque nécessité s'impose, lorsqu'il y a pour eux danger. Car ces trois lutins vilains caressent un rêve : devenir les maîtres du monde. Leur chimérique projet foireux et fumeux échoue toujours, cela va de soi. Leur insignifiance de gnomes contraste avec leurs ambitions démesurées et inassouvies.
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 A noter, fait capital : Arthur Piroton n'était pas son propre scénariste. Max Ariane était double, dual : Paul Deliège (1931-2005), créateur de Bobo, avait commis le scénario.Deliège délaissa un temps sa série phare pour se consacrer aux Kroston, abandonnant durant quelques années dessin et scénario de Bobo à Maurice Rosy, qui, étonnamment - lorsqu'on sait qu'il fut le créateur de Monsieur Choc - en fit une bédé plutôt gentillette, dépourvue de toute causticité.
Cependant, Deliège insuffla aux Krostons un humour troublant que le réalisme originel de la série ne laissait pas supposer. C'est sans doute la raison pour laquelle la sauce ne put pas prendre dès le départ. La problématique se résolut d'elle même avec l'abandon de Piroton, qui se consacra à plein temps à une série correspondant enfin à ce qu'il recherchait, série digne des meilleures productions télévisées américaines policières des années 1960-70 : Mannix, Kojak, L'Homme de Fer, Serpico etc. Cette série fut Jess Long, lancée avec fracas dès 1969 et scénarisée jusqu'à sa mort en 1978 par Maurice Tillieux, qui y recycla plusieurs scénarios de son ancien héros Félix. 
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Deliège fit donc cavalier seul. Il commença par publier divers récits complets, qui ressourçaient les Krostons dans un Moyen Âge originel et fabuleux, sarcastique cependant.

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En outre, Deliège crut bon, en 1971, de tout reprendre plus ou moins à zéro, prolongeant les mésaventures de Max Ariane en une espèce de remake et à la fois de suite au récit initial de 1968, Les Krostons sortent de presse, qui avaient encore besoin de faire-valoir réalistes.
Il reprit donc les mêmes personnages. De plus, tout comme en 1968, la figure tutélaire de Jean Rostand fut sollicitée via sa caricature en Monsieur Flamberge, sans que notre biologiste et académicien renommé s'offusquât de l'utilisation que notre pseudo Max Ariane fit de lui.
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Cette prétention au semi réalisme vouait Les Krostons à une impasse certaine. Dès 1973, Deliège révisa les fondements de la série pour la redémarrer dans une autre optique, plus humoristique, tout en conservant le caractère intrinsèque des trois petits ambitieux égocentriques. Balade pour un Kroston (1973) est le fruit de cette évolution et connaît enfin la consécration de l'album dans une collection normale aux éditions Dupuis.
Le deuxième épisode, La Maison des Mutants (1977) est remarquable à plus d'un titre. Paul Deliège y annexe en les détournant, en les pastichant, les thématiques et les décors, les atmosphères de la littérature gothique et du cinéma fantastique. Il s'inspire ouvertement du film Willard de Daniel Mann (1971) et de sa suite Ben de Phil Karlson (1972) dont on sait que la chanson superbe, interprétée par un Michael Jackson adolescent, fut nominée aux oscars et reprise en guise d'hommage dans la seconde version de Willard de Glen Morgan (2003) avec Crispin Glover. A ma décharge, je ne goûtai à la version originelle de Willard que quelques mois après la publication de La Maison des Mutants lorsque la télévision programma ce film horrifique et traumatisant dans l'émission L'Avenir du Futur en 1978. Cela signifie que je n'avais pas pu détecter les références de Deliège.
Les Krostons affrontent des rivaux conséquents : des rats mutants, devenus intelligents, commandés par un de leurs congénères albinos, sorte de Ben revu et corrigé. Ces rats possèdent un robot déguisé en monstrueux moine fantôme qui terrorise et éloigne les importuns de la demeure mystérieuse où ils fomentent leur conspiration de domination mondiale.
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Malheureusement, Deliège mit toujours plus de temps à élaborer et dessiner les épisodes des Krostons, parce que Bobo, qu'il avait recommencé à animer en 1973, lui prenait de plus en plus de temps et fonctionnait mieux auprès des lecteurs de Spirou. Il ne produisit plus que deux épisodes de la série : La Vie de château (1981) et L'Héritier (1983) avant de jeter définitivement l'éponge. Certes, l'on peut parler pour Les Krostons d'un humour noir, nauséeux, déconcertant, semi adulte (enfant, il me fut déconseillé de lire la série publiée alors dans un Spirou dirigé par Thierry Martens !), humour d'une ironie mordante, mais moindre que celle de Franquin.
Ce qui est regrettable, c'est que la série tomba par la suite dans un relatif oubli qui fit que les éditions Dupuis en abandonnèrent les droits. Divers éditeurs indépendants, notamment les éditions Hibou, essayèrent de ressusciter Les Krostons en publiant plusieurs intégrales à partir de 2005, année du décès de Paul Deliège. Ce fut alors qu'on commença à envisager une adaptation ou transposition cinématographique de l'univers de ces lutins malfaisants et fort bêtes.
Ainsi, les sites de la presse anglo-saxonne (Variety, The Guardian) annoncent la prochaine production d'un long métrage que dirigerait le réalisateur belge Frédérik du Chau, avec (rien que cela !) Salma Hayek et Jean Reno dans les rôles principaux ! Ce sera Salma Hayek la dessinatrice, Maxinne, qui remplace Max Ariane. L'on sait que les adaptations, les transpositions, aiment à trahir, à dénaturer les originaux, mais peu importe ici, puisque cette cure de jouvence annoncée au profit de nos trois vilains lutins permettra de les extirper salutairement d'un injuste oubli.
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La prochaine fois, je reprendrai la série d'articles consacrée aux écrivains dont la France ne veut plus dans un volet numéro trois sur le poète Paul Fort.


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samedi 6 décembre 2014

Bonnes Adresses du Passé et les Cent Livres des Hommes : deux émissions littéraires de l'ORTF injustement oubliées.

Si Arte avait existé en 1884, elle eût été pour Des Esseintes parce que ce dernier personnage romanesque incarnait une sorte de chébrantude d'époque (Chroniques désinvoltes de Moa).

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Pourquoi placer ce texte sous le patronage de Frédéric Chopin ? Parce que le générique inoubliable de l'émission Bonnes Adresses du Passé (à laquelle l'on adjoint souvent l'article défini "les") était illustré par la mazurka opus 33 numéro 2. 
Du milieu des années 1960 à la disparition de l'ORTF fin 1974, le duo Roland-Bernard et Jean-Jacques Bloch officia pour le plus grand bonheur des téléspectateurs cultivés de ce temps pas si ancien.
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Paradoxe : tandis que des émissions comme Lectures pour tous de Pierre Desgraupes, Pierre Dumayer et Max-Pol Fouchet ou encore Portrait Souvenir de Roger Stéphane paraissent s'être davantage imposées dans la mémoire collective, Bonnes Adresses du Passé me semble bien plus oubliée, au point que sur le site Ina.fr, les émissions intégrales proposées se comptent sur les doigts d'une main. Cette émission se trouve réduite à la portion congrue, au contraire de celle de Roger Stéphane (qui suivait une optique patrimoniale littéraire proche et la précéda de quelques années) dont une part non négligeable est commandable sur le même site.
Ainsi, alors que, dès ma petite enfance (suis-je exceptionnel ?), mes sens ouverts à tout avaient perçu l'existence remarquable de Bonnes Adresse du Passé et ma mémoire retenu à vie la musique du générique, Ina.fr demeure chiche, avaricieuse, ne rentrant les opus qu'au compte-gouttes infinitésimal; infime, au rythme d'environ un numéro par an, et encore ! Je veux bien croire que ces émissions sont par trop endommagées, abîmées, mais la mission de l'Ina depuis 1975 n'est-elle pas la conservation, la préservation, la restauration d'un patrimoine télévisuel dont j'apprends et réalise que des parts et périodes entières ne sont même pas détenues par cet éminent institut ?
En ce cas, nous n'allons tout de même pas en être réduits à une extrémité telle qu'il faudrait privatiser l'Ina, le faire racheter, tenez par exemple par Serge Bromberg, patron génial de Lobster Films, qui, lui, ne se gênerait aucunement pour restaurer jusqu'aux plus infimes émissions rares et incongrues, car il a toujours fait preuve de professionnalisme, animé qu'il est par cet esprit chineur, de rat de cinémathèque nécessaire à la redécouverte de trésors filmiques enfouis que l'on croyait disparus ! L'Ina aux mains de Serge Bromberg pour s'assurer que l'intégralité des Bonnes Adresses du Passé sera enfin disponible sur Ina boutique ! On croit rêver ! Allez, retroussez vos manches ! Il y a du boulot en perspective !
Faute de mieux, j'en suis réduit à découvrir à la marge, par la bande, l'existence de tel ou tel numéro de cette émission, dont je doute qu'ils seront de sitôt gravables ou téléchargeables ! Jugez plutôt : Gérard de Nerval, Jacques Coeur, Guy de Maupassant, George Sand, eurent l'honneur des Bonnes Adresse du Passé. Savez-vous que j'ai le souvenir personnel d'avoir regardé, en 1971, le numéro des Bonnes Adresses du Passé consacré au Palais Idéal du Facteur Cheval ? C'est donc grâce à cette émission que je connus l'existence de ce formidable architecte autodidacte, précurseur de l'art brut !
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Cet Angkor Vat français, cette fantasmagorie surréaliste et baroque !
On pourrait reprocher aux Bonnes Adresses du Passé une certaine bien-pensance gaullienne et pompidolienne, des vaticinations conservatrices, une autocensure parfois fâcheuse (rien sur l'homosexualité thème central de la Recherche dans l'émission consacrée en 1971 à Marcel Proust)...
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Avouez qu'il est frustrant de constater sur le site de l'Ina la réduction de l'émission consacrée à Boris Vian à un extrait, un fragment, comme s'il n'en restait que cela, comme pour un film muet forain dont il ne demeurerait que quelques photogrammes vinaigrés.
Il y a un cas pis : les Cent Livres des Hommes (1969-1973), du regretté Claude Santelli. Cette émission se voulait éducative, à l'attention d'un public plus jeune. Qu'en reste-t-il sur le site de l'Ina ? Nada ! Juste le générique, ce fascinant et mélancolique générique constitué d'une succession de gravures illustrant des grands classiques (Les Misérables, Gargantua, Don Quichotte, Robinson Crusoé et j'en passe). Ce générique à la musique inoubliable et jamais oubliée qui, lorsque autour de septembre, en ces commencements des années 1970, elle se faisait entendre à mes oreilles sensibles, à l'occasion de la bande annonce de reprise de l'émission, annonçait fatalement la rentrée des classes. Ô thème triste et beau !
Et j'aimais grandement cette musique des Cent Livres, m'en souvenant à tout jamais sans en connaître le compositeur, découvrant sa préexistence dès 1965 dans l'épisode des Cinq Dernières Minutes, Bonheur à tout prix lors d'une rediffusion sur la défunte Cinq en juillet 1987. Dès lors, je m'engageais en la quête du nom du compositeur, ce durant des années. Cette prétendue marche traditionnelle allemande, telle qu'annoncée par la radio dans Bonheur à tout prix, dont l'identité créatrice fut débattue bien plus tard dans les forums d'Internet s'avéra une illustration musicale de Betty Willemetz, disparue en 2010.
Pourquoi donc ce mépris absolu pour cette émission savante et vulgarisatrice de Claude Santelli, ce génie de l'ancienne télé détruite par les bourdieusants ? Pour quelle raison l'unique numéro disponible quelques temps sur le site de l'Ina, consacré à Quatre-vingt-treize de Victor Hugo, que j'eus le réflexe de commander, la prescience de me hâter d'acquérir, disparut-il du site après seulement une poignée de mois ? Scandale ! Négligence aussi s'il s'avère qu'à peu près tous les Cent Livres sont à jamais gâchés, perdus !
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Il existe une multitude de numéros des Cent Livres introuvables, consacrés à Werther, à Madame Bovary, à Alice au pays des merveilles ! Aberration ! Stupidité digne de la perte de la majeure partie des oeuvres littéraires de l'antiquité gréco-romaine alors que les expressions de l'esprit dont il est ici question furent mes contemporaines !
Du fait que Les Cent Livres des Hommes pourrait s'apparenter à nos modernes docu-fictions, le site IMDB répertorie une partie des émissions en mentionnant la distribution, les interprètes ayant contribué aux scènes reconstituées émaillant tel ou tel épisode. Il demeure regrettable que nous n'en sachions pas davantage sur cette série superbe, injustement boudée par l'Ina lui-même !
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la prochaine fois, il sera question d'une bande dessinée remarquable apparue à la fin des années 1960 : Les Krostons, signée à l'origine du pseudonyme de Max Ariane, qui mit en scène un personnage haut en couleurs inspiré de Jean Rostand.

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