lundi 15 septembre 2014

Alexandre Dumas, éternel exclu des programmes de français du secondaire ?

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Le mutisme et le silence appartiennent aussi à la phraséologie. (Panégyrique de l'Anti-politique)

Les possédants s'aveugloient de leur propre dialectique, de leur propre modèle. Ils ne voyoient plus la vraye réalité parce qu'ils se croyoient les maistres définitifs d'un monde bâti à leur image. (Le Nouveau Cyber Saint-Simon)

Je suis le romancier de la fleur noire, la fleur fragrante de putréfaction, la fleur de mort. (un écrivain décadent en quête de renommée)

Les prix littéraires, c'est l'art officiel : je n'achète pas. (un lecteur anonyme qui en a assez de l'a-littérature)

D'Artagnan se trompait : Mousqueton était mort. 
Mort, comme le chien qui, ayant perdu son maître, revient mourir sur son habit. (Alexandre Dumas : le Vicomte de Bragelonne)

Alexandre Dumas (Villers-Cotterêts 24 juillet 1802 - Puys 5 décembre 1870). Un immense auteur, un littérateur incontournable au talent fou que l'on doit célébrer avec juste raison... S'il fallait élire le plus grand écrivain français de tous les temps, je voterais Dumas sans hésitation. Pourtant...
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Alexandre Dumas a toujours eu mauvaise presse dans l'enseignement français. Sa panthéonisation en 2002 n'a pas suffi à le rendre plus visible et plus audible dans les programmes de lettres du secondaire, au collège comme au lycée. De fait, il est peu enseigné, quelques extraits uniquement ou presque. Sans doute lui fait-on un mauvais procès d'illisibilité, de longueur etc. Et l'on sait qu'à compter du collège, les jeunes sont réputés délaisser la lecture. Celles et ceux qui, dans les instances académiques du Mammouth concoctent les programmes officiels dénigrent et méprisent les "facilités" de Dumas, sa manie de "tirer à la ligne", de déléguer à des tiers tel  Auguste Maquet (des Fréville ?)
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 la recherche de la matière à laquelle il insuffle le génie. J'ai dit Fréville à dessein : je me refuse à l'usage d'un mot raciste galvaudé ("nègre") et encore moins à lui substituer l'expression anglo-saxonne "ghost writer". Un Fréville, c'est un terme qui s'inspire de l'autobiographie de Maurice Thorez, Fils du Peuple, de fait écrite par Jean Fréville (1895-1971).
Il est vrai que, dès mon entrée au collège, et davantage encore au lycée (en section lettres, bien avant que celle-ci ne devînt la poubelle en déshérence qu'on connaît actuellement)  l'on m'avait mis en garde : Dumas n'est pas reconnu et mieux vaut éviter de le citer, de l'évoquer dans des dissertations de français. Ayez l'humble curiosité d'entrer dans une librairie en début d'année scolaire (septembre représente le moment propice) : demandez à voir les livres au programme de tel établissement de votre ville, collège ou lycée. J'ai tenté maintes fois l'expérience et je puis vous révéler que jamais, au grand jamais, je n'ai remarqué un seul roman d'Alexandre Dumas (ou si peu : parfois une version si abrégée pour les classes de 5e ou 4e - par exemple Les Trois Mousquetaires - qu'un digest de Sélection des années 1970 fait à côté figure de texte intégral proustien !). Même une oeuvre abordable, relativement brève comme La Tulipe noire n'est jamais programmée ! 
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Je pourrais étendre mon sujet à d'autres auteurs: immanquablement, vous verrez toujours du Maupassant : ses nouvelles sont prisées : il ne s'agit pas d'une écriture fleuve interminable, mais de textes très bien troussés, géniaux, acides et efficaces.
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 Par contre, il n'est aucunement question que le meilleur du théâtre de boulevard ait l'outrecuidance de prétendre à une étude scolaire : Feydeau, c'est aussi interdit que Dumas, malgré la réhabilitation contemporaine dont ce dramaturge détonnant a fait l'objet. Tant qu'à faire, et pour parler crûment (et cruellement), entre deux syphilitiques au cerveau, pourquoi toujours choisir Maupassant et jamais Feydeau ? Feydeau a une écriture théâtrale alerte, vive, annonciatrice de l'absurde et du surréalisme. Alors, pourquoi le boude-t-on ? Trop primesautier ? Le rire, c'est néfaste ?
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Pourquoi aussi nier  qu'Alexandre Dumas fut un écrivain populaire, truculent, un génie de l'intrigue romanesque (et du drame théâtral, aussi), un merveilleux vulgarisateur de l'Histoire de France, dont on apprend chez lui les rudiments avec plaisir et allégresse. Dumas est jouissif et l'on ne s'ennuie jamais dans ses livres (un comble pour ceux qui vous torturent avec une littérature tellement barbante et contraignante que l'on peut comprendre pourquoi, passé onze ans, les jeunes délaissent la lecture). 
Dumas, c'est la rupture avec tous les torchons prétendument littéraires qu'on nous impose avec constance dans les rayonnages, qu'ils soient archi commerciaux ou ultra introspectifs avec des "je" partout... Et, désormais, un retournement de situation se dessine en faveur de la vraie fiction romanesque, y compris du roman historique, si longtemps moqué par la critique qui, cela n'était pas rare voici encore à peine deux années de cela, dédaignait tellement ce prétendu sous-genre, qu'elle ne lui consacrait pas une ligne, même pour dire que c'était mauvais. Des romans publiés chez Gallimard (je songe principalement à l'Opéra anatomique de Maja Brick) subirent ce rejet stupide de plein fouet. Cet ouvrage, délaissé à tort, n'a aucune chance de reparaître un jour en poche.

Dois-je l'écrire, l'affirmer, voire le pérorer dans le cadre limité de ce blog ? Je proclame haut et fort que, selon moi (et certains érudits à l'esprit ouvert partageront mon opinion), Le Comte de Monte-Cristo  demeure une des plus grandes fictions littéraires du XIXe siècle, voire de tous les temps, à égalité avec Les Misérables. Le genre humain ne pourrait se passer des Trois Mousquetaires, de toutes les sagas épiques d'Alexandre Dumas.
Or, sauf exception, à quel phénomène navrant et persistant assistons-nous, négation d'une pédagogie positive ? Le rejet constant et le mépris d'Alexandre Dumas par les fausses élites contribuent au rejet et au mépris de l'institution scolaire elle-même. Autrement dit, les intellectuels, femmes et hommes de pouvoir, scieraient la branche sur laquelle tous sont assis ! "Scolaire" est en lui-même devenu une grossièreté que les critiques médiocres balancent à tout crin à la face de ce qui ne les agréé point. L'on vient d'être témoin de ce type de flingage en règle unanime  au sujet de la dernière adaptation cinématographique de la pièce Mademoiselle Julie de Strindberg par Liv Ullmann.
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La dialectique des thuriféraires de l'oukase anti-Dumas et autres (y compris et surtout lorsqu'il s'agit d'adaptations filmées à caractère historique ou littéraire, en costumes pour faire bref) comporte avec un invariant constant le même lexique répétitif jusqu'à la nausée : mièvre, didactique, ampoulé, surchargé, pesant, académique, élitiste, aride, noyé dans le décorum, téléfilmique, rigide etc. Tout cela, toute cette charge judiciaire amphigourique, ce procès d'intention jdanovien, finit par aboutir à une phraséologie révélatrice de la bien-pensance mal pensante, d'un prêt-à-penser uniforme tendant à imposer par la contrainte mercantile, par le conditionnement pyramidal de la société à partir du haut, la résignation de tous à subir un système dans lequel ces mêmes élites perverties, du côté du marteau, se complaisent tout en n'hésitant pas à afficher, à revendiquer avec constance leur profond mépris pour tout ce qui représenta en un autrefois relativement récent la popularisation de la culture, sa transmission au peuple dont Dumas fut un chantre, un maître incontournable. Il sut vulgariser l'histoire, bien qu'il commît çà et là de menues erreurs vénielles (par exemple, Gaston d'Orléans mourant après Mazarin dans Le Vicomte de Bragelonne).
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Mais Dumas, c'est avant tout la verve épique, l'imagination débridée au pouvoir - imagination reposant toutefois sur une certaine véracité historique popularisée - grande cause mise au service d'un plaisir gustatif et communicatif de la lecture et de l'écriture. Dumas grand pédagogue ! Grand transmetteur culturel !
Or, de nos jours, il est de bon ton parmi ces élites fausses autoproclamées dénoncées tantôt, de rejeter cette nécessaire transmission culturelle vulgarisatrice. Elles se vantent de n'avoir justement aucune culture. Le roman historique tel qu'Alexandre Dumas le pratiqua avec maestria est jugé chose inutile, obsolète, dans un monde régenté par l'argent roi. Dois-je écrire l'argent dieu au risque du blasphème  ?  Alexandre Dumas n'entre pas (comme tous les beaux-arts, comme les humanités, les savoirs scientifiques "durs" et théoriques) dans le schéma auto-institué de l'utilitarisme immédiat à la Jeremy Bentham - cet utilitarisme entrepreneurial. Dumas ne sert à rien pour l'économisme ultralibéral dominateur temporaire du monde...
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Tels Giovanni Gentile et Benito Mussolini à propos de l'Etat fasciste, où rien ne pouvait exister - et surtout pas l'individu - en dehors de l'Etat, rien - et surtout pas les romans et les drames romantiques d'Alexandre Dumas - ne peut subsister en dehors des sacro-saints, trois fois saints Marché, Entreprise et Profit, vertus théologales de notre Terre contemporaine, hypostases et Personnes, Trinité démoniaque de ce néo totalitarisme ultra matérialiste. C'est ce que professent tous ces faux penseurs contemporains, clercs traîtres, nouveaux chiens de garde, avec constance.
Alors, pour vous révolter contre cet ordre établi, pour cesser de vous y soumettre, lisez, étudiez, décortiquez, analysez, brandissez comme un étendard, un emblème, un signe de ralliement, les oeuvres sublimes d'Alexandre Dumas !
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Prochainement, il sera question d'un Requiem pour les musées de cire, ces spécificités attractives et ludiques d'un autre temps qui, désormais, ont presque toutes mis la clef sous la porte.
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