dimanche 6 octobre 2013

Renée Vivien (aux sources d'Aurore-Marie de Saint-Aubain 4).

(...) - cet homme dont elle ne possédait pas même une photo, seulement une carte postée en Belgique à Charleroy, comme on l'écrivait encore en 1913, et représentant une étrange et ravissante enfant aux yeux et aux lèvres maquillés avec un noeud blanc en forme d'orchidée dans une épaisse chevelure brune, l'épaule dénudée, souriant d'un air aussi malicieux qu'innocent, assez semblable aux fillettes savamment dépenaillées photographiées quelques années plus tôt  par le révérend Charles Lutwige Dodgson. (Richard Millet : Ma vie parmi les ombres p. 280 éditions Gallimard 2003)

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Ma première rencontre avec Renée Vivien fut fortuite, en avril 2008. Elle se fit par le truchement d'un buste de Rodin, exposé en son musée parisien éponyme, représentation de la tête (donc de l'intrigant visage) d'une femme disparue à l'âge d'à peine trente-deux ans. L'étiquetage de l'oeuvre indiquait sobrement que Renée Vivien avait vécu de 1877 à 1909.

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A ce moment, j'ignorais alors tout d'elle, de ses moeurs, de ses poèmes, de sa vie même. Je songeais à mon défunt prof de français de seconde, qui, lorsque nous étudiâmes Boris Vian, insista sur le fait qu'il était mort à trente-neuf ans : un auteur qui meurt jeune constitue un archétype du génie foudroyé et maudit.
Mes retrouvailles avec Renée Vivien s'avérèrent subreptices : je venais de créer Aurore-Marie de Saint-Aubain, apparemment, sans qu'aucun modèle m'eût inspiré, si ce n'était Leconte de Lisle,
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 pour le côté emberlificoté, alambiqué, antiquisant et au lexique très recherché de ses poésies. Je le savais maître de l'école du Parnasse contemporain : je fis donc d'Aurore-Marie de Saint-Aubain, dans sa biographie imaginaire écrite en août 2008, une parnassienne, et tant qu'à faire, une symboliste aussi, même si les deux écoles étaient antagonistes. Je me fendis de poésies grotesques, exagérées, sans queue ni tête, aux mots compliqués, parfois récités par mon alter ego extravagant de Joan Fontaine : Deanna Shirley De Beaver de Beauregard. La toute première poésie d'Aurore-Marie que j'écrivis, Fragments d'un Grammatiste antique, sortit de la bouche de Deanna Shirley en personne.
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Mon trait de génie fut, d'emblée, dès sa première apparition dans la nouvelle Lise, de faire d'Aurore-Marie de Saint-Aubain une adepte du saphisme (je dirais même de l'éphébophilie féminine, chose bien plus dangereuse, puisque Aurore-Marie était portée sur les préadolescentes de onze à quinze ans) et d'avoir décidé de son décès prématuré, de la tuberculose bientôt conjuguée à un cancer galopant de l'utérus (m'inspirant par là de la magistrale biographie du général Boulanger - dont j'avais besoin pour parfaire mon personnage, car Aurore-Marie était nationaliste et boulangiste - écrite par Jean Guarrigues, qui soulevait l'hypothèse de la mort de Marguerite de Bonnemains, maîtresse du général revanche, sous les effets conjugués de la phtisie et du cancer utérin : les pages traitant de l'agonie et de la mort de cette femme m'arrachèrent - oserai-je l'écrire ? - des larmes !). Elle quittait le monde à trente-et-un ans même pas accomplis.
Je m'attelai ensuite à la recherche de poétesses ayant vraiment existé à cette époque ou juste après, pour savoir dans quel style exactement elles composaient leurs vers, histoire de perfectionner le pastiche de l'oeuvre "aurore-mariale", commençant par Anna de Noailles puis en dénichant une foultitude d'autres, jusqu'à retrouver Renée Vivien.
Je tenais la femme idoine : partie jeune, maladive, lesbienne, à l'écriture précieuse et antiquisante. Je me crus même possédé par sa folie, comme si son fantôme m'eût inspiré mon propre personnage.Renée Vivien était née Pauline Mary Tarn le 11 juin 1877 à Londres. Surnommée Sapho 1900, elle est considérée d'obédience parnassienne.
Qu'en a donc dit Colette ?
Son long corps sans épaisseur (...) portait comme un lourd pavot la tête et les cheveux dorés, et de grands chapeaux chancelants. Elle tendait en avant ses longues mains tâtonnantes. Ses robes couvraient ses pieds, elle allait frappée d'une gaucherie angélique et perdait en marchant ses gants, son mouchoir, son ombrelle, son écharpe..."
(Colette :  Le Pur et l'impur)
Ce passage un peu cruel figure dans la présentation de Martine Reid à La Dame à la louve, recueil de nouvelles de Renée Vivien publié chez Folio en 2007.
J'avoue m'en être librement inspiré pour décrire le personnage d'Andrée Berthon, jeune lesbienne de 18 ans, trop couvée par sa mère dans Le Trottin :



La clochette du magasin résonna à l’instant. Un couple de clientes entra. C’étaient une maman et sa fille. La mère, quarante ans environ, arborait une de ces vêtures sévères de provinciale petite bourgeoise, ajustée et serrée, une robe de quelques années, lilas, avec un pouf, un cou de dindon engoncé dans un col montant ouvragé avec un jabot au mitan duquel un padou de velours tête-de-nègre retenait une lourde améthyste. Son fichu rappelait les mantilles espagnoles et ses mains grasses, gainées de mitaines noires, paraissaient s’accrocher au manche d’un parapluie qui ne la quittait jamais. La fille, dix-huit ans, tout en maladresse, aux mains trop grandes dont elle ne savait à quoi les occuper, avait tout d’une godiche. Les joues rouges, elle se tenait coite. Bien que plus grande que sa génitrice, cette jeune dinde dont la robe, au tissu trop pesant pour la saison, était de couleur prune, embrouillait ses bras dans un châle tandis que son chapeau fleuri de marguerites, d’un ridicule confondant, placé de travers sur ses bandeaux noirs très datés, vacillait aussi dangereusement qu’une vieille colonne dorique minée par une sape. Ses yeux bruns exprimaient la crainte, la soumission et le respect des donzelles à marier ayant tout à apprendre de la vraie vie. Sa grâce était celle d’une pâtissoire. Elle n’avait ni apprêt, ni attrait, et celle qui l’avait engendrée et la chaperonnait avec sévérité ne cessait de lui tapoter le dos en répétant : « Tiens-toi donc droite ! »  

                                         
 Toutes deux eussent pu s’enorgueillir de leurs poitrines fortes, superbes une fois dévoilées, mamelles de Grâces de Rubens qui pointaient de leurs corsages comme des obus cylindro-coniques, quoique ces dame et demoiselle fussent minces de taille et de figure. Juchées sur leurs bottines trop hautes, elles en acquéraient un déhanchement de chaloupes malmenées par un coup de tabac ; et l’on pouvait craindre que ces corps trop perchés, tout en oscillations périlleuses, s’abattissent sur le cipolin du comptoir et ébranlassent toute la structure fragile de l’édifice des casiers de nouveautés.
 (Aurore-Marie de Saint-Aubain : Le Trottin, Louis Morand éditeur 1890 : extrait du chapitre X).

A la différence de Pauline Tarn, j'ai fait Aurore-Marie de Saint-Aubain petite, bien que nos deux jouvencelles saphiques partagent une commune maigreur maladive et languide. 
Renée Vivien a entretenu des relations plus ou moins agitées avec Natalie Barney et Hélène de Zuylen. Droguée et alcoolique, elle est morte d'inanition le 18 novembre 1909 après une tentative ratée de suicide au laudanum l'année précédente. Curieusement, nul ne songe à rattacher Renée Vivien aux derniers feux du mouvement décadent... 
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A titre de comparaison (et pour rire) je vous donne un poème de l'auteure, comparé à la prose d'Aurore-Marie de Saint-Aubain et à ses vers précieux :

La Flûte qui s’est tue


Je m’écoute, avec des frissons ardents,
Moi, le petit faune au regard farouche.
L’âme des forêts vit entre mes dents
Et le dieu du rythme habite ma bouche.


Dans ce bois, loin des aegipans rôdeurs,
Mon cœur est plus doux qu’une rose ouverte ;
Les rayons, chargés d’heureuses odeurs,
Dansent au son frais de la flûte verte.



Mêlez vos cheveux et joignez vos bras
Tandis qu’à vos pieds le bélier s’ébroue,
Nymphes des halliers ! Ne m’approchez pas !
Allez rire ailleurs pendant que je joue !


Car j’ai la pudeur de mon art sacré,
Et, pour honorer la Muse hautaine,
Je chercherai l’ombre et je cacherai
Mes pipeaux vibrants dans le creux d’un chêne.


Je jouerai, parmi l’ombre et les parfums,
Tout le long du jour, en attendant l’heure
Des chœurs turbulents et des jeux communs
Et des seins offerts que la brise effleure…


Mais je tais mon chant pieux et loyal
Lorsque le festin d’exalte et flamboie.
Seul le vent du soir apprendra mon mal,
Et les arbres seuls connaîtront ma joie.



Je défends ainsi mes instants meilleurs.
Vous qui m’épiez de vos yeux de chèvres,
O mes compagnons ! allez rire ailleurs
Pendant que le chant fleurit sur mes lèvres !


Sinon, je suis faune après tout, si beau
Que soit mon hymne, et bouc qui se rebiffe,
Je me vengerai d’un coup de sabot
Et d’un coup de corne et d’un coup de griffe !

(paru en 1907 dans le recueil Flambeaux éteints)

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Un nouvel extrait du chapitre X du Trottin : Cléore de Cresseville, l'héroïne d'Aurore-Marie de Saint-Aubain, s'adresse à son amour, Adelia, jeune adolescente irlandaise d'à peine 14 ans :


Tu es cette fleur vénéneuse, blanche et pure comme le lys, qui dissimule en ses étamines de foudroyants poisons de volupté… Tu es la fontaine de lait et de miel où s’abreuvent les virginaux troupeaux des jolies pastourelles qu’elle tue dans d’atroces souffrances… Tu es le grain de sénevé, l’ivraie que l’on rejette avec horreur, l’ergot noir du blé terreur des humbles vêtus de leur sayon, le monstre saxatile tapi parmi les roches… Tu es la manifestation même des amours enfantines, enfuies à jamais pour celles qui ont acquis leur personnalité adulte, mais pour moi, ces amours ne sont point mortes. Elles reviendront, éternelles, encor et toujours… Elles sont comme le Phœnix, renaissent de leurs cendres. Elles sont l’Eternel Retour de toute chose, le temps cyclique, l’ouroboros, la Nature, la Terre Mère, Gè, Gaïa, sans cesse revivifiée, re-fécondée, l’anacouklesis des Anciens…

Enfin, L'Ode à la nymphe furtive de 1888 : 

 

L’appel d’or retentit dans un ciel sans étoiles.
Je te vis, esseulée, en cette contrée, sans voiles.
Fugitive tu fus, ma sylphide craintive !
Coruscante dryade, fruit défendu, fornication furtive !
Thébaine aux yeux d’ébène qu’Athéna Parthénos
Modela dans la glaise sur ordre de Chronos !

Matité d’une peau, carnation exotique !
Naïade d’Insulinde venue d’outre tropiques !
Noirs tes cheveux, de jais tes iris, mais point ton âme,
Qui mon cœur embrasa, voluptueux épithalame !
Farouche vahiné nourrie au caroubier,
Pygmalion te conçut, en futaie d’albergiers !   

Es-tu des Îles Heureuses, de l’Arabia Felix ?
De Ceylan des Orientales Indes, du sommet de la Pnyx ?
La superbe rabattue de l’Empereur de Chine,
Rejeta en toi, ma mie, la fière concubine !
Nue tu fus devant moi, prête aux transports hardis !
Neuve tribade en Thébaïde, prépare mon Paradis !

L’univers lutta lors, contre l’énergie sombre
Du Fils du Ciel trahi, réservant sa faconde,
Engloutissant les étoiles, les astres du Logos !
Corps à corps dantesque, victoire du Rien, ô nouveau Polémos,
Encor en apocryphe codex, Révélation, poussière en devenir,
Par l’eschatologie, voici la Mort, ô Néant à venir !
  

La prochaine et dernière source sera consacrée à la bande dessinée fantastique et gothique et en particulier à l'un de ses chantres, scénariste de Paul Foran : José Ramon Larraz, qui vient de mourir. Il est à noter que ses films fantastiques (qu'il réalisa dans les années 1970), ne dédaignaient nullement les scènes saphiques osées...

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http://www.actuabd.com/IMG/jpg/Larraz-photo.jpg






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