samedi 17 août 2013

Des fossoyeurs de la musique française des années 1870-1945.

Il fut une époque où des salafistes du dodécaphonisme adorateurs d'Anton Webern décrétèrent que toute la production musicale française des années 1870-1945, à de rares exceptions près (le Debussy terminal d'En Blanc et Noir notamment), était bonne à jeter à la poubelle car sclérosée dans le respect de la tonalité.
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Ainsi, il ne fut guère étonnant de constater que, dans une émission consacrée à l'histoire de la musique, L'Homme et la Musique (1982), Sir Yehudi Menuhin réduisait la musique française du XXe siècle aux fanfares de villages, sans même qu'il eût mentionné l'existence de Maurice Ravel !

Les sectateurs de la musique sérielle sont peut-être partiellement responsables de cette regrettable omission. Il est vrai que pour eux, tout ce qui n'appartenait pas à la filiation de Webern était irrémédiablement suspect d'académisme fossilisé. Ils vouèrent aux gémonies une foultitude de compositeurs honorables, parfois de très grands maîtres comme Albert Roussel (1869-1937)
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 et Francis Poulenc (1899-1963),
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 pour la France mais aussi nombre d'indépendants étrangers réfractaires à tout systématisme, à tout catalogage : Jean Sibelius, Igor Stravinski, Sergueï Prokofiev et Dimitri Chostakovitch passèrent sous leurs fourches caudines. Ils adulaient la déstructuration éclatée en cellules de timbres, l'atonalisme libre précédant la codification des séries de douze sons par Arnold Schoenberg, critiquant même ce dernier et Alban Berg, autres grands de l'école de Vienne, parce que suspects de relents romantiques attardés.
Ils mirent sous le boisseau des "petits maîtres" qu'on oublia, que l'on tarda à redécouvrir, jusqu'à ce que de hardies et audacieuses maisons de disques pionnières osassent enregistrer leurs oeuvres : ainsi en fut-il d'Albéric Magnard (1865-1914), au lyrisme âpre et rythmé, post-brucknérien, annonçant parfois le dernier Roussel et Bela Bartok
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 compositeur  "1900"  féministe et dreyfusard dont la quatrième symphonie (enregistrement pionnier de Michel Plasson en 1983) soutient la comparaison avec la troisième de Scriabine Divin Poème, et de l'amiral Jean Cras (1879-1932),
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 dont l'amateurisme éclairé fut moqué (comme celui d'Emmanuel Chabrier en son temps). Or, j'estime que le concerto pour piano de Jean Cras, que j'ai découvert en 1999 (en particulier le deuxième mouvement) est un chef-d'oeuvre indispensable à l'écoute du mélomane éclairé.
De plus, ne faut-il pas dissocier, une fois de plus, l'oeuvre des auteurs, lorsque ceux-ci eurent des opinions politiques douteuses ? (le royalisme de Vincent d'Indy,
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 son nationalisme intransigeant et son antisémitisme, de même celui de Florent Schmitt,
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 par ailleurs favorable à Vichy) Cela interdit toutefois à mes yeux de boycotter tout ce qu'ils composèrent, parce qu'il y a quand même des choses valables voire géniales chez eux (La Tragédie de Salomé de Florent Schmitt, impressionnant drame musical symphonique orientaliste dansé dont la rythmique échevelée - la Danse de l'effroi notamment - annonce le premier Stravinski de l'Oiseau de Feu ; les dernières oeuvres de chambre de d'Indy, plus dépouillées composées à Agay dans les années 1920 etc.). Parfois, il faut savoir faire abstraction des ombres entourant et nimbant certains artistes... au profit des lumières.
Désormais, la musique a évolué, le dodécaphonisme est daté et les maîtres des années 1870-1945 enregistrés car rejoués. Justice est faite !

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