samedi 27 octobre 2012

Une épistémologie épiphénoménologique de l'eschatologie du friedmano-hayekisme.


Nouvel extrait des Mémoires du Nouveau Cyber Saint-Simon. 
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Al alba de los tiempos era el Beneficio. Y el Beneficio era en Dios, y el Beneficio era Dios. Después el Beneficio se hizo carne en Adam Smith. (Dom Sepulveda de Guadalajara OH (Ordo Hayekorum) : sermons sur l'Apocalypse).
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Tout comme l'existentialisme est un humanisme, l'ultralibéralisme est un fondamentalisme (Aphorismes du Cyber Néo Jean-Paul Sartre).
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L'ultralibéralisme poussoit donc à la parcellisation forcenée, au divisionnisme individualiste infini afin qu'il pût dominer sans partage pour les siècles des siècles. Le clan dit des "friedmano-hayekiens", qui lors avoit pignon sur rue, avoit intérêt, pour perdurer, à la docilité irréfrénable des peuples, à leur abêtissement de bestes de somme, à leur déculturation, afin qu'ils ne pussent plus se révolter contre les vrayes cibles. Ils souhaitoient que l'on revînt à l'esclavage, où les quatre cinquièmes de l'Humanité seroient pièces d'ébène, après que le coust du travail eut été abaissé jusqu'à sa complète disparition, jusqu'à cet aboutissement logique de la compétitivité à tout prix, ainsi qu'il en étoit selon les fondamentaux de leur doctrine néo-physiocratique.
C'étoit cela, le diviser pour régner de Friedrich von Hayek, de ses diadoques et de ses épigones. Les  poussées de fièvre nationaliste, les sécessionnismes qu'ils entretenoient comme autant de guerres  picrocholines et intestines, tous ces conflits absurdes et indentitaires, les ravissoient et les agréoient  parce qu'ils savoient que la multitude de nouveaux micro Etats non viables économiquement, nés de leurs manigances, arrangeroit le libre jeu de la supériorité des transnationales qu'ils dirigeoient, qu'ils disoient avantages comparatifs, se gobergeant, comme en autant de plaisirs auliques ineffables, du pactole que leur rapportoient les dividendes et les jetons de présence dans les conseils d'administration où ils siégeoient en tant qu'actionnaires engraissés par la sueur de tous les peuples de tous les continents. Ils prônoient donc, pour satisfaire leurs propres envies, leurs propres vices (acquisitions de grands crus, de chasteaux, de haras, d'oeuvres d'art contemporain spéculatif, sans omettre la luxure de luxe, y compris éphébique, nymphéenne et anandryne) que l'on déplaçât ailleurs, toutes les industries après qu'on en eut laissé l'ensemble des employés sur le carreau, vers des contrées exotiques où main d'oeuvre et fabriques ne coutoient rien, car on ne s'y acquittoit de nul impost, de nulle taxe, taille, dîme, de nul vingtième ou capitation. Les cafreries de Cathay avoient leur préférence, mais ils falloit qu'ils allassent s'implanter dans des contrées toujours plus lointaines et bon marché lorsque des revendications sociales se faisoient jour parmi ces brassiers d'Asie innombrables qu'ils pensoient dociles à jamais.  C'étoit une fuite en avant sans fin, car ils ne se jugeoient jamais assez riches. Ils finissoient par ne même plus savoir de quelle fortune ils disposoient car celle-ci changeoit à chaque attoseconde. Ils étoient d'ailleurs experts en spéculation en bourse, en accaparement, surtout lors des périodes de soudure où ils s'en donnoient à coeur joie. Ils se refusoient à payer le moindre impost depuis long-temps. Ils n'étoient plus soumis à la moindre assiettée de taille, comme autrefois à la cour du Grand Roy.
C'étoit ainsi la généralisation de l'accaparement institué sous le nom de profit, son triomphe que des idéologues, tels que le furent messieurs Destutt de Tracy et Cabanis, insituoient en tant que nouvelle divinité sous le nom de Main invisible du Marché. Cet accaparement se faisoit au bénéfice d'une infime poignée, surtout depuis que les nouveaux physiocrates chicagolais étoient parvenus à faire reconnaistre cette fausse doctrine dans le monde entier : pour ce, ils avoient tous reçu un prix qu'on qualifioit de prix Nobel d'économie politique.
De fait, cette clique de bourdons parasites de la ruche-monde n'avoit jamais accepté ce qui s'étoit passé depuis 1789 avec Barnave et Mirabeau, 1841 avec Villermé et 1929 avec Keynes. On s'attendoit donc qu'à la parfin les masses qu'ils rabaissoient s'agitassent et se débarrassassent d'eux d'une manière sanglante et radicale telle l'infortunée princesse de Lamballe que d'aucuns prétendoient anandryne . 
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Leurs seuls adversaires crédibles et puissants, malgré les fort vaines vociférations d'autres opposants, qu'on qualifioit d'Indignés, étoient encore plus rétrogrades qu'eux : c'étoient des turbans noirs, partisans d'un retour à la source de l'Alcoran du septième siècle de notre ère.



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Afin de combattre efficacement un spectre ursin, sis en la Russie profonde et qu'ils disoient rouge car héritier des célèbres Egaux, ils avoient favorisé fort imprudemment (fascinés qu'ils étoient par l'Orient et ses fastes amollissants et aveulissants) l'essor de ces mêmes turbans noirs, ne se rendant point compte qu'ils réchauffoient des vipères en leur sein...

mercredi 17 octobre 2012

Supplément au "Cousin de Fragonard".

Ce billet complète mon article sur "Le Cousin de Fragonard " de Patrick Roegiers, roman baroque et jubilatoire dont la richesse ne cesse de surprendre et sur lequel on trouve toujours du nouveau à dire.



Le Cousin de Fragonard est le reflet d’une époque éminemment scientifique où l’Homme et la Nature sont devenus des objets centraux d’étude. C’est, depuis la Renaissance, outre l’anatomie, le fonctionnement des organismes, la physiologie, qui sont au centre des préoccupations. L’école médicale française prend son essor, ce qui aboutira aux travaux de Bichat et de Dupuytren.
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 Au fonctionnement orthodoxe des corps, à la classification de la normalité, va se substituer l’intérêt pour la déviance, l’altérité, les monstres, avec le développement de l’étude des malformations, des pathologies, aboutissant à la codification de la tératologie et à la classification des monstruosités par Geoffroy Saint-Hilaire.

On retrouve tout cela dans l’œuvre d’une Gabrielle Wittkop (1920-2002). Le XVIIIe siècle apparaît comme une époque de transition, avant le positivisme, avant l’anthropologie biologique qui allait faire des ravages et justifier le racisme et le colonialisme, avec d’une part l’exhibition des corps difformes dans les foires à monstres, à phénomènes, et d’autre part des indigènes dans les zoos humains (voir les travaux de Pascal Blanchard et Cannibale de Didier Daenynckx). Voyeurisme malsain, regard complaisant dirigé vers l’Autre. Saartjie Baartman, la Vénus hottentote, demeure le symbole de ce mélange cruel d’altérité raciale et physique. Elle fut disséquée par Cuvier…héritier des savants et des naturalistes du XVIIIe siècle.
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Le Siècle des Lumières est le fils de Descartes et de sa théorie de l’animal-machine. C’est l’ère des automates, des premiers androïdes de Vaucanson,
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 et les écorchés de Fragonard apparaissent eux-mêmes comme de magnifiques machines humaines dont le mécanisme est dévoilé, mis à nu, aussi parfait qu’une horlogerie interne, en des spécimens disséqués et naturalisés dans un but pédagogique et de connaissance de ce qui fait le fondement de l’Homme. L’évacuation de Dieu se dessine, car l’Homme n’est plus une création divine, mais un homme-machine, issu du cartésianisme, et La Mettrie pousse au bout la logique de cette révolution conceptuelle dont Honoré Fragonard et Jacques de Vaucanson sont les reflets, jusqu’au galvanisme et au mesmérisme, jusqu’à la postérité littéraire de Frankenstein ou le Prométhée moderne de Mary Shelley.  Xavier Mauméjean, dans un remarquable roman intitulé La Vénus anatomique, est parvenu à synthétiser La Mettrie, Vaucanson, Fragonard, Victor Frankenstein et L’Ève future de Villiers de l’Isle-Adam,
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 publié en 1886, où Prométhée s’est incarné en Thomas Edison. Dans ce texte singulier, paru aux éditions Mnémos en 2004, Julien Offray de La Mettrie,
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 qui, en 1746, a écrit La Vénus métaphysique dont Mauméjean s’inspire, est invité en 1752 par le roi de Prusse Frédéric II  à concevoir un type nouveau d’être humain. La Mettrie a pour rivaux Honoré Fragonard et Vaucanson. Il conçoit son androïde féminin, sorte de fiancée avant l’heure de la créature de Frankenstein. C’est le commencement de la vie artificielle, de l’Homme-Dieu, de l’Homme-démiurge, qui s’arroge le pouvoir de créer à la place de la divinité. L’Homme devient le centre de l’univers. L’Encyclopédie puis le Conservatoire des Arts et Métiers glorifient le génie humain, l’artisanat et la technique. La révolution industrielle commence. 

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Les trois automates Jaquet-Droz, conçus entre 1767 et 1774 : La Musicienne, Le Dessinateur, L'Ecrivain.

Le canard de Vaucanson lui-même, en possession de presque toutes les facultés physiologiques d’un vrai palmipède, y compris la défécation, est devenu un personnage de roman dans le touffu et délirant Mason et Dixon de Thomas Pynchon.    

La Joueuse de tympanon de Marie-Antoinette conçue par Peter Kintzing, horloger et par David Roentgen, ébéniste de la reine, présentée en 1784 au château de Versailles. Actuellement conservée au Musée des Arts et Métiers de Paris.
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dimanche 14 octobre 2012

Zygmunt : le plus mystérieux, éphémère et volatil dessinateur du "Spirou" des années 70.

Toute oeuvre d'art qui n'est pas d'avant-garde est académique (Un ayatollah de l'art contemporain).


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Tout avait débuté sous les meilleurs auspices en ce numéro spécial de Spirou 1938, qui clôturait l'année scolaire en beauté et annonçait l'avènement de quatre nouveaux dessinateurs de talent :

- Marc Wasterlain, qu'on ne présente plus, avec un récit complet endiablé mettant en scène deux motards farfelus de la police ;
- Dimitri-Lahache alias Mouminoux avec Les Familleureux  (qui n'eurent guère de succès) ;
- Sandron, avec la première apparition de la série humoristique napoléonienne Godaille et Godasse, à laquelle j'ai rendu hommage dans mon roman Translateur pictural et qui se poursuivit vaille que vaille onze ans durant ;
- Zygmunt, le plus intrigant des quatre, avec une histoire complète scénarisée par Raoul Cauvin consacrée à "Comment vous arrêter de fumer ?".
C'est de cet obscur d'entre les obscurs que j'ai souhaité vous parler aujourd'hui.

Cette petite histoire était prometteuse, qui plus était scénarisée par Raoul Cauvin qu'on ne présente plus. Elle mettait en scène une famille moyenne franco-belge à la Boule et Bill (tiens, tiens...) avec un graphisme du style compromis entre la ligne claire et l'école de Marcinelle. Elle s'inscrivait dans un contexte d'actualité : la prise de conscience que le tabac, la clope, ça pollue et c'est (ainsi le disait-on dans le vocabulaire de ce temps) cancérigène (maintenant, on entend dire cancérogène). Franquin, dans un gag de Gaston, n'avait-il pas casé une pub radio tonitruante de cruauté acerbe sur la cigarette Reuh, la cigarette des vraies tumeurs (lapsus aussitôt corrigée en cigarette des vrais fumeurs) ? La loi Veil n'allait pas tarder (loi n° 76-616 du 9 juillet 1976 relative à la lutte contre le tabagisme).

Zygmunt et Cauvin s'étaient donc voulus tout à la fois pédagogues et  humoristes. Inutile de dire que tout tournait mal (surtout avec le coup de fumer côté filtre) et que le "héros" Monsieur Tout-le-monde sombrait dans l'alcoolisme, perdait son job et sa maison après avoir provoqué maints dégâts.

Là où le bât avait blessé, c'était dans l'éditorial (avec en prime, le premier dessin du "magicien" docteur Poche de Wasterlain avant qu'il eût un nom) qui sous-entendait, avec un joli chut de top secret, que Cauvin et Zygmunt avaient de grands projets communs, dont celui de la reprise espérée d'une bédé disparue depuis un moment. Je pensais soit à Johan et Pirlouit (serpent de mer), soit à Benoît Brisefer. Ce dernier échut  à Blesteau, pour peu de temps.
Zygmunt sombra dès lors dans l'anonymat et la présence fugitive. Sa propension à dessiner des Français moyens franchouillards moustachus dignes de celui des contemporaines Mini chroniques de Goscinny y fut peut-être pour quelque chose. Ainsi en fut-il de M. Henry, qui ne vécut que le temps de deux gags à l'automne 1976.
Je le confesse : gamin d'à peine douze ans à l'époque, je crus à un héros durable... Me trompais-je ?  Oui ! M. Henry était marqué du sceau désespérant de l'éphémérité. C'était une sorte de flétrissure, de fleur de lys à la Milady, de porte-guigne...pour un personnage de papier furtif, voué à un prompt oubli. Je revois encore l'impétrant en imper ouvert sur un complet passe-partout, avec ses bacchantes et sa coiffure en brosse alors ringarde, seriner en pensée "Deux boulettes frites et une bière" et entrer dans le bistrot pour bouffer son morceau... Influencé par les autres convives dont il captait les choix culinaires, en cette tranche de vie ordinaire dépourvue de tout avenir commercial et bédéphilique (même pas culte), M. Henry finissait par prendre tout autre chose...de plus consistant stomacalement et de plus cher, comme de bien entendu.


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J'estime avec le recul qu'il y a eu tromperie sur la marchandise, et c'est irréparable. M. Henry, plus banal que la banalité même. Anonyme pourtant baptisé, désigné, dénommé. Être dépourvu de passé et d'avenir, mort à la dernière case de la seconde planche du gag n° 2 ! M. Henry, prémonition d'un phénomène qui ne cesserait de s'accentuer au fil des ans : les héros de papier n'effectuant qu'un tour de piste, disparaissant avant toute reconnaissance du lectorat, publiés parce que les planches ou la seule planche produite étaient payées par l'éditeur, parce qu'il fallait remplir les creux, colmater les risques de pages blanches du magazine, boucher les trous, héros tous demeurés sans suite. Un gag, deux, trois et puis s'en vont... dans les limbes d'un temps infinitésimal.

Il me reste enfin à vous parler de l'histoire complète rétro de Zygmunt et Mazel, dont le titre s'inspirait d'une chanson de Brassens :  Cell' que j'préfère, c'est la guerr' de quatorz'-dix-huit ! 
Deux chevaliers du ciel, un Français et un Allemand, s'affrontent en un fameux duel aérien à la Guynemer, mais humoristique. Leurs coucous sont pulvérisés : eux demeurent sain et sauf. Chacun souhaite remettre ça et répare son aéronef. Tout recommence avec la même casse à la Charlot. De duel en duel, avec le bricolage et le système D, les avions bricolés et reconstitués sont de moins en moins aptes au vol, jusqu'à ce que celui du Teuton s'avère être devenu une moissonneuse-batteuse que le malin va faire breveter avec les retombées pécuniaires qu'on devine. Le pilote français, aussi chevaleresque que son courtois adversaire, se rend compte trop tard qu'il a été grugé et que l'Allemand s'est avéré plus finaud que lui en affaires (parution au numéro 1939 de Spirou).

Pour conclure (il serait temps...), Zygmunt demeure à ce jour une énigme insoluble. On ignore tout de l'identité réelle de celui qui se cachait derrière le masque, le nom de plume et de rotring assez freudien, le pseudonyme étrange et hétérodoxe. Ce fut un Thomas Pynchon du 9e art, fort fugace et furtif au demeurant, et je doute qu'il existe sur la Toile une personne capable de percer le mystère. Mais, au fond, tout cela a-t-il encore quelque importance près de quarante ans après ?  A l'ère où nous connaissons désormais les biographies de tous les auteurs Disney dont aucun ne put signer son oeuvre de son nom, cela ne cesse cependant d'intriguer... Est-ce ma faute si je m'intéresse tant à l'altérité absolue, à la marge de la marge ? Reprochez-moi tant que vous pourrez d'avoir été moins caustique, moins corrosif que de coutume. Bonsoir.

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mardi 9 octobre 2012

Les momies de la tour Saint-Michel de Bordeaux : un souvenir macabre et baroque de Victor Hugo.



Où Victor Hugo s’oppose à Aurore-Marie de Saint-Aubain.

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 Dieu donne aux morts les biens réels, les vrais royaumes.
Vivants ! vous êtes des fantômes ;
C’est nous qui sommes les vivants ! -
Victor Hugo, « Les Contemplations » : « Quia pulvis es »

Les morts n’ont d’autre tombe que le vivant.
Prosper Enfantin

Extraits :

Dans Choses vues, en l’année 1843, Victor Hugo se remémore la visite morbide qu’il effectua à la tour Saint-Michel de Bordeaux, où, depuis la Révolution française, étaient exposées, en un curieux musée-charnier, les momies naturelles exhumées du cimetière Saint-Michel, dont les tombes avaient été profanées par les révolutionnaires comme celles des rois de France à la basilique de Saint-Denis le 14 octobre 1793.
Cette exposition obituaire et macabre perdura jusqu’à environ 1979, date à laquelle, trop dégradées, les dépouilles, objets d’une fascination certaine et malsaine des visiteurs, amateurs d’émotions fortes, furent enlevées. On ne conserva d’elles qu’une évocation symbolique, un rappel de leur ancienne présence et rémanence funèbre.


« (…) Pour qui regarde ces débris humains avec l’œil de la chair, rien n’est plus hideux. Des linceuls en haillons les cachent à peine. Les côtes apparaissent à nu à travers les diaphragmes déchirés ; les dents sont jaunes, les ongles noirs, les cheveux rares et crépus ; la peau est une basane fauve qui sécrète une poussière grisâtre ; les muscles, qui ont perdu toute saillie, les viscères et les intestins se résolvent en une sorte de filasse roussâtre d’où pendent d’horribles fils que dévide silencieusement dans ces ténèbres l’invisible quenouille de la mort. Au fond du ventre ouvert, on aperçoit la colonne vertébrale.
- Monsieur, me disait l’homme, comme ils sont bien conservés !
Pour qui regarde cela avec l’œil de l’esprit, rien n’est plus formidable (…)
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 Je regardais avec une sorte de vertige cette ronde qui m’environnait, immobile et convulsive à la fois. Les uns laissent pendre leurs bras, les autres les tordent ; quelques uns joignent les mains. Il est certain qu’une expression de terreur et d’angoisse est sur toutes ces faces qui ont vu l’intérieur de ce sépulcre. De quelque façon que le tombeau le traite, le corps des morts est terrible.
  Pour moi, comme vous avez déjà pu l’entrevoir, ce n’étaient pas des momies ; c’étaient des fantômes. Je voyais toutes ces têtes tournées les unes vers les autres, toutes ces oreilles qui paraissent écouter penchées vers toutes ces bouches qui paraissent chuchoter, et il me semblait que ces morts arrachés à la terre et condamnés à la durée vivaient dans cette nuit d’une vie affreuse et éternelle, qu’ils se parlaient dans la brume épaisse de leur cachot, qu’ils se racontaient les sombres aventures de l’âme dans la tombe et qu’ils se disaient tout bas des choses inexprimables.
  Quels effrayants dialogues ! que peuvent-ils se dire ? O gouffres où se perd la pensée ! Ils savent ce qu’il y a derrière la vie. Ils connaissent le secret du voyage. Ils ont doublé le promontoire (…) »

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Ceci pour l’expression romantique de la fascination pour la mort et les dépouilles humaines.
Qu’en fut-il parmi les décadents fin-de-siècle ? Le baroquisme s’y exacerba davantage, aboutissant à un esthétisme absolu et fantasque, gratuit dirais-je, toujours plus lié au surnaturel et à la folie.
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Pour ne point faire la fine bouche, chers lecteurs et lectrices, je n’ai pu résister à la tentation de vous proposer, à titre de comparaison avec Victor Hugo, deux extraits du sulfureux roman d’Aurore-Marie de Saint-Aubain (1863-1894), écrit en 1890, Le Trottin.
D’abord le chapitre XXI, lorsque se rencontrent, à l’école vétérinaire d’Alfort, en un conciliabule secret, Elémir de la Bonnemaison et la vicomtesse de **, amis de Cléore de Cresseville, héroïne de ce peu recommandable ouvrage, au milieu des momies d’écorchés d’Honoré Fragonard.

(…) Tout comme Elémir, avec Le Gaulois, la vicomtesse avait été informée par la presse de l’arrestation de Dagobert-Pierre. Le Supplément illustré du petit Journal était allé jusqu’à commettre l’impair d’un dessin approximatif représentant cet épisode lamentable. Cependant, tous deux ne cessaient de s’étonner de l’absence de réaction de la comtesse de Cresseville. C’était à croire qu’elle s’était coupée totalement du monde, recluse dans la casemate de l’Institution pour des raisons qui échappaient à ses amis. Elémir prévint Madame par téléphone : il avait envoyé un télégramme tantôt à Cléore, au sujet de l’arrestation, et celle-ci n’avait toujours pas donné signe de vie, comme si le message ne lui était pas parvenu. Ils convinrent tous deux d’un rendez-vous, en un lieu où nul n’irait les importuner, afin de décider quoi faire. Elémir, dont nous connaissons les goûts morbides, choisit l’Ecole Vétérinaire d’Alfort, où l’on avait récupéré et installé les célèbres momies d’écorchés anatomiques d’Honoré Fragonard, dont notre décadent marquis regrettait qu’elles ne comptassent point parmi les pièces remarquables de sa turbide collection. Il eût désiré acquérir en sus le moulage de la Vénus hottentote, si c’eût été possible. L’entrevue eut donc lieu en ce cabinet des collections du siècle affreux et honni des philosophes, que se targuait de posséder l’illustre école créée par Bourgelat, héritier de la grande tradition des maréchaux équestres, dont les connaissances en physiologie des chevaux laissaient de fait à désirer. Ces locaux, assez exigus et disparates, étaient réservés aux seuls professionnels de santé et aux hôtes de marque et de prestige, qui en sollicitaient la demande de visite. Ils traînaient une réputation de hantise et de diaphorèse de peur, parce que les âmes animales et humaines de tous les spécimens exposés y erraient encore, hantant ces salles insignes.
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  C’était un capharnaüm conséquent, un entassement pêle-mêle de pièces pathologiques animales, de monstres et de préparations humaines d’Honoré Fragonard aux secrets de conservation bien préservés, quoiqu’on les délaissât de nos jours. Madame se gardait de renauder, de renâcler, au spectacle de l’exposition de ces saletés augustes, bien qu’en son for intérieur, elle en restât pantoise. Elle ne pouvait cependant empêcher çà et là, quelques pincements fugitifs des narines et des lèvres, à cause du musc et des effluves que dégageaient toutes ces ordures et dépouilles scientifiques, dont fourrures et tissus paraissaient suinter d’une solution oléifiante destinée sans doute à les prémunir contre les insectes et la putréfaction. Leur fragrance avait la fadeur d’un mauvais vin suri, d’un reginglard infect stagnant en dépôt au fond d’une vieille barrique. Deux trois fois, Madame porta à son nez son mouchoir en dentelles de Bruges. Elémir avait choisi de la mener jusqu’au saint des saints, au tabernacle et au naos, là où s’amoncelaient, sans classement aucun, les cadavres d’Honoré Fragonard.
  Il s’agissait de mannequins humains disséqués, encaustiqués de chairs roidies. Tout en découpures, compartimentés de viscères, d’artères, de veines et de fressures aux coloris artificiels ternis, bleus, rouges, injectés encore liquescents dans les cadavres par quelque mystérieux clystère via le tissu conjonctif et le réseau circulatoire, ces spécimens anatomiques de démonstration jouaient leurs saynètes bibliques au milieu des regards indiscrets de veaux empaillés à la face écrasée de bulldogs, de poules à cinq pattes, de chats et de moutons cyclopes immergés dans leurs flacons d’alcool d’un jaunâtre pisseux. C’étaient Samson grimaçant avec sa mâchoire d’âne, le cavalier de l’Apocalypse, effrayant, monté sur sa momie de cheval dépouillé à la musculature durcie, en lambeaux ciselés tout en orfèvreries, un buste d’on ne savait quel personnage, à vif, sorte de gravure de Vésale en trois dimensions qui révélait tous les secrets de la mobilité de la face. Le cavalier lui-même paraissait ne constituer plus qu’un seul être avec sa monture, monstre bicéphale anatomique, centaure d’une métope parthénopéenne ionique de la Grande Grèce archaïque qui s’apprêtait pour un combat nouveau, contre quelque créature fabuleuse, triton, Lapithe, hécatonchire ou autre. Des yeux de verre avaient été enchâssés à tous ces écorchés, et leurs orbites prétendant au réalisme brillaient d’une expression farouche, résolue, comme si tous ces êtres tirés de leur potence ou de leur morgue eussent encore été vivants et eussent voulu, depuis leur outre-tombe, clamer vengeance contre leurs frères vivants. Parmi eux, des fœtus humains naturalisés et des cynocéphales, ouverts, sans peau aucune, toute leur physiologie obscène dévoilée comme le corps d’une catin grasse et blonde, dansaient une ronde de lutins, de farfadets de la nuit, qui se transformait à la lueur incertaine d’une lampe à gaz en saltarelle de créatures d’un au-delà maléfique. Elémir, qui avait été maître du choix du rendez-vous, attaqua :
« Je me meurs d’anxiété au sujet de Cléore. Elle n’a pas accusé réception de mon télégramme d’alerte. »
  Madame la vicomtesse réfléchit à deux fois avant de proposer une réponse à demi rassurante.
« Cléore est encore malade. Une mauvaise grippe doit la clouer au lit. J’ai jà mandé un médecin tantôt, puis-je vous le rappeler. Sa poitrine est devenue bien fragile. Elle suit un traitement contre la phtisie. C’est grand malheur pour une si jeune et si exquise femme !
- Mais, dans ce cas, Sarah aurait dû nous en informer. Tout cela est bien étrange, que dis-je, fort déroutant. »
  La maîtresse anandryne parut tout émotionnée.
« Quelque chose de fâcheux est arrivé. Moesta et Errabunda court un danger mortel. La prolongation plus que probable de l’accès maladif de Mademoiselle de Cresseville n’est pas sans motif. L’arrestation de Monsieur de Tourreil de Valpinçon implique un resserrement de l’étau policier. Hier, j’ai croisé deux sergents de ville près de mon hôtel particulier. J’ai dû entrer par la porte de service. Ils surveillaient les lieux, j’y mettrais ma main au feu.
- Que me révélez-vous, Madame ? s’effaroucha le marquis de la Bonnemaison. Nous serions épiés, surveillés ! »
 
  Elémir ne parvint pas à réfréner des tremblements de mains d’un fumeur d’opium en manque de son vice, mais ceux-ci paraissaient davantage suscités par l’effroi engendré par la présence des cadavres écorcés, d’une teinte de litharge, qu’à cause de la crainte d’une arrestation de la vicomtesse. Afin de se donner meilleure contenance, il osa allumer un Trichinopoly, faisant fi des chairs mortes traitées éminemment combustibles. Tout en tirant des bouffées de ce poison, il lissa ses moustaches frisées d’éphèbe efféminé usé par ses excès de débauche sous l’œil goguenard hyalin et mort de ces cadavres confits d’Honoré Fragonard. On s’attendait à ce qu’un bitume noir exsudât de leurs bouches sardoniques au rictus putrescent. Elémir réfléchissait, songeur. Puis, lorsqu’il eut décision prise, il jeta, comme pour moquer la prétention morbide des momies :
« Je me rendrai en personne à Château-Thierry, dussé-je y laisser des plumes, ou pis, ma liberté. » (…)

Second extrait du Trottin (chapitre XXIII) : l’errance de Cléore de Cresseville, en fuite, dans un souterrain servant d’étrange catacombe à des momies de moines qui sont non sans rappeler les Capucins de Palerme auxquels il est d’ailleurs fait référence. Mais ici, la mise en scène apparaît trop explicite pour que l’héroïne croie longtemps à l’authenticité de cette nécropole.

(…) Alors, Cléore pressa le pas et s’alla[1] résolument dans le couloir. Les halos de son luminaire balayaient chaque paroi, à la recherche éventuelle d’un nouveau piège. L’air devenait vicié, fétide, méphitique, non seulement à cause de sa prégnance humide, de ses relents de moisissure et de blettissure, mais du fait qu’il ne faisait plus aucun doute au nez de Mademoiselle qu’en cet endroit, des organismes morts s’altéraient, se putréfiaient par places. Cléore, un bref instant, émit un glapissement d’effroi : la lampe venait furtivement de dévoiler une face de squelette couverte d’un capuce à laquelle adhéraient encore des plaques de chairs racornies et calcifiées. Son cœur battit à se rompre ; elle toussa et cracha un peu de sang. Elle crut suffoquer. Parvenant à se reprendre, Mademoiselle de Cresseville s’obligea à poursuivre son chemin, quelle que fût la terreur enfantine qu’elle devait affronter, terreur évocatrice de la mort et de la décomposition dans ses œuvres splendides. Plus elle marchait, davantage les dépouilles se multipliaient, lovées dans des sortes de niches. C’était une crypte, non, une nécropole de moines de divers ordres, capucins, théatins, jacobins, ignorantins, bénédictins, servites, augustins, dominicains, dont les frocs se marouflaient et se gaufraient de pourriture. Quelques uns paraissaient englués dans des fientes de chiroptères, d’autres étaient recouverts de concrétions calcaires auxquelles s’ajoutaient des lambeaux de toiles d’araignées. Leurs robes monacales paraissaient frangées de mycélium.  Il y en avait des centaines en ces lieux, en cette catacombe où il semblait à Cléore que les dernières survivances du christianisme s’étaient assemblées en cet antre occulte, dédaléen, afin d’achever de s’y éteindre en paix. Des scolopendres chlorotiques, souterraines, dépigmentées, rampaient indécemment sur les bures effiloquées et guenilleuses des frères convers. Ils exhalaient leurs fumets de chairs roidies, racornies, gâtées, solidifiées, de momies confites dans l’humidité. 
 http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/4/4b/Incorpora,_Giuseppe_(1834-1914)_-_Catacombe_dei_Cappuccini_a_Palermo_1.jpg
  Cléore vit que la galerie allait s’élargissant ; elle finit par déboucher en une immense salle basilicale, creusée en tous ses murs de démentielles absides et absidioles qui formaient autant d’alvéoles où reposaient, en position fœtale, ces moines momifiés qui n’avaient rien à envier à ceux du Thibet et de Cipangu[2]. La comtesse de Cresseville se crut victime d’un mirage, en proie à une peur invasive, à un fantasme de vanité du Grand Siècle. Elle pensa que tous ces cadavres avaient un message transcendantal à lui communiquer, qu’ils allaient ouvrir leurs bouches de squelettes afin d’énoncer une sentence la condamnant à mourir en leur effrayante compagnie. Elle songea alors qu’il s’agissait d’une vision de cauchemar, irréelle, d’un délire hallucinatoire causé par l’opium, le chloral ou le laudanum qu’elle absorbait pour mieux dormir et supporter ses tourments de syphilitique phtisique. Mademoiselle se moqua comme de colin-tampon de savoir la raison qui avait présidé à l’instauration de ce tombeau immense, au transport de toutes ces momies, condamnées à gîter en ces lieux isolés et repoussants, en cette dernière demeure, pour un nombre de siècles impossible à compter. Etait-ce un émule des cryptes palermitaines des capucins qui avait voulu transférer ici cette multitude afin qu’elle y trouvât un fort étrange repos morbide ? Cléore songea à quelque mise en scène digne d’Elémir ou de Madame, qui se complaisaient en leurs délires baroques. Après tout, il pouvait s’agir autant de frères authentiques que de cadavres déguisés récupérés dans de multiples morgues, métamorphosés en momies naturelles par la grâce de l’atmosphère particulière de cette pseudo basilique souterraine digne d’un décor de mauvais opéra ou de roman gothique anglais. Elle eût voulu circonvenir ces momies maléfiques, solliciter leur mansuétude, leur clémence, si elle avait été certaine de leur réalité. Mais il était indubitable que ce spectacle hallucinatoire allait trop loin, du fait que certains cadavres revêtaient un aspect simiesque. Les crânes polis aux mâchoires entrouvertes recelaient des restes de crocs ; ils ressemblaient davantage à ceux de papios, de babouins d’Egypte, voire de gorilles dont on avait écrêté la voûte sagittale. La décomposition des chairs suivie de la minéralisation de certaines de ces dépouilles leur avait conféré une apparence de fossiles d’une extrême ancienneté, comme s’il se fût agi d’une nécropole dédiée à quelque dieu singe d’il y avait des millions d’années, crypte où l’on eût célébré le culte indigète du Dryopithecus, ce primate sylvain des chênaies ou hêtraies de l’après Éocène, date on ne peut plus imprécise dans l’esprit de la comtesse de Cresseville, qui n’était point instruite en matière de découvertes de formes de vies antédiluviennes, elle que tout portait à réfuter Lamarck et Darwin. Il était de plus curieux que les orbites de ces crânes fossiles rongés fussent operculées par une résine noire, sans omettre de curieuses résilles pourries qui enveloppaient partiellement ces os hideux. Cléore n’avait pas envie de conjecturer sur son délire et d’attribuer un sens téléologique à ses fantasmes. (...)  
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On constate la divergence du style entre les deux auteurs, les descriptions davantage fantasmées et surchargées d’Aurore-Marie de Saint-Aubain, le vocabulaire plus maniéré et recherché, typique du mouvement décadent, l’aspect « dégénérescence du naturalisme » induit par cette auteure dans la foulée de son mentor Huysmans, alors que Victor Hugo, bien qu’il ne délaisse pas l’emphase et la fascination trouble, demeure plus simple dans son vocabulaire, courant, et dans son expression, plus direct dans l’émotion, artificieuse chez la poétesse et romancière de la fin du XIXe siècle. Aurore-Marie de Saint-Aubain se complait dans les détails imaginaires, dans l’excès, dans les références à l’antiquité, à la paléontologie, science nouvelle de son temps, à l’exotisme, à la médecine (elle descendait d’une famille de médecins et de physiologistes, les Lacroix-Laval). Elle insiste dans l’emploi d’un lexique évocateur de la putréfaction, de la pourriture (odeurs comprises) en héritière du Zola de Thérèse Raquin (souvenez-vous de Camille le noyé assassiné), de Baudelaire et de Huysmans. Victor Hugo s’intéresse davantage à l’humanité symbolisée par ces morts momifiés, à ses souffrances, à ce qui demeure de fondamentalement humain et vivant en eux par-delà le trépas. Il se veut à la fois philosophe et témoin  de son siècle voire de tous les siècles de l’Histoire qu’il embrasse pour les générations futures, nous laisse un message plus social, plus directement compréhensible et accessible à un lectorat populaire, plus universel au fond, alors qu’Aurore-Marie de Saint-Aubain s’adresse exclusivement à une élite lettrée et réactionnaire, une petite coterie adepte de l’art pour l’art. Il est amusant de rappeler qu’Hugo fut d’abord légitimiste avant d’évoluer vers la gauche. La poétesse, quant à elle, demeura fidèle à ses convictions conservatrices et monarchistes sa courte vie durant.






[1]    Construction verbale décadente typique, usitée aussi chez Joris-Karl Huysmans : s’alla pour s’en alla.
[2]    Fascinée par les civilisations d’Asie, Aurore-Marie de Saint-Aubain fait ici allusion aux bonzes tibétains et japonais auto-momifiés adeptes de Kukaï.

dimanche 7 octobre 2012

Ces morts scandaleusement oubliées par la télé française entre les années quatre-vingts et 2006.

Nous manquons de résistance au présent (Gilles Deleuze).
J'ai décidé de résister à ce présent-là (Chroniques de moi-même).



Dietrich Fischer-Dieskau et Gustav Leonardt, ces grands sautés nécrologiques de l’année 2012, ont eu d’illustres prédécesseurs prouvant que la déliquescence de la télévision française en matière de disparus importants n’est pas un phénomène inédit. 

§        Barbara Stanwyck, grande actrice américaine 
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§        Jean Dorst, grand zoologiste :   Le Peuple migrateur lui a été dédié 
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§        Jean Arthur : même chose que Barbara Stanwyck  : remember Mr Deeds !
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§        Nathan Milstein, sublime violoniste 
 http://upload.wikimedia.org/wikipedia/en/thumb/6/6e/Nathan_Milstein.jpg/220px-Nathan_Milstein.jpg
§        Sylvain Joubert, grand acteur de télévision: Ardéchois Coeur fidèle, c'était lui !
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§        Louis de Broglie, immense physicien 
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§        Zino Francescatti : ce violoniste a été réduit à l’envergure d’un simple musicien régional (un violoneux local, devrais-je écrire, vu le mépris absolu dénoté par ce genre de désinformation digne de Staline, sa mort n ’ayant été annoncée à l'époque que par les seules actualités PACA  de FR3)
http://www.violinstudent.com/images/francescatti.jpg
§        Rafael Alberti : le grand poète espagnol, sciemment déjà occulté de son vivant, ne pouvait que passer inaperçu en mourant en toute discrétion
http://www.wisdomportal.com/Columba/RafaelAlberti(350x474).jpg
§        André Lwoff, pourtant prix Nobel de médecine en 1965 (d’ailleurs, quasiment aucun décès et aucune attribution de prix Nobel, ne sont considérés comme annonçables par nos a-infos!)‏
http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/f/fd/Andr%C3%A9_Lwoff_nobel.jpg/220px-Andr%C3%A9_Lwoff_nobel.jpg
§        Jacques de Bourbon-Busset (comme un académicien sur trois) : il se souciait des autres
http://www.larousse.fr/encyclopedie/data/images/1312465-Jacques_de_Bourbon-Busset.jpg
§        Pierre Laroque, pourtant le père de la Sécu!
http://www.archivesdefrance.culture.gouv.fr/static/2770
§        Daniel Mayer, pourtant résistant,  défenseur des droits de l ’Homme et ancien président du Conseil constitutionnel 
http://www.assemblee-nationale.fr/sycomore/biographies/photo/jpg/5136.jpg
§        Eugène Guillevic, poète, parce qu’il n’était pas du « bon camp » (celui des ultralibéraux CQFD), la remarque s’appliquant à André Stil (on annonça l’élection de Bernard Pivot à son couvert des Goncourt sans que son décès eut été l’objet de la moindre brève télévisuelle ! Sine qua non, le péquenot ne lisant jamais la presse écrite était supposé ignorer de facto la disparition d’André Stil ! )
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§        Francis Crick, codécouvreur de la double hélice de l’ADN, sous prétexte qu’il aurait « usurpé » sa découverte 
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§        Henri Noguères, lui aussi dans les droits de l’Homme et la résistance ! Il existe désormais une fâcheuse tendance médiatique à s’étendre sur les morts des salauds, des collabos, des dictateurs, et à ignorer ceux qui ont été des humanistes : il n ’y a qu’à voir le plat qui  fut fait à l’époque sur la disparition du gourou Gilbert Bourdin sans oublier d’autres monstres plus récents d’une envergure encore plus considérable et néfaste
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§        Victoria de Los Angeles, cantatrice espagnole, parce que lancée sous Franco? (là, nous sommes en pleine aporie et contradiction typique des tris informationnels à la française – j’annonce le collabo, je saute le résistant mais j’oublie cet artiste qui débuta à la mauvaise époque totalitaire tout en omettant cet autre du parti des fusillés ; peut-être tout simplement l’impétrante n’appartenait pas au monde des musiques dominantes officielles instituées et actuelles)
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§        Jean Roba, l’inoubliable auteur de Boule et Bill, qui eut le malheur de disparaître juste avant Raymond Devos qui l’occulta. Il fut le Prokofiev de ce Staline-là (ils moururent en même-temps, si l'on s'en tient à la date officielle du décès de Staline).
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§        Et  d ’autres, tant d ’autres encore, dont le romancier américain Thomas Tryon, dont Robert Mulligan adapta le meilleur livre : L'Autre. Je dédie ce billet d'humeur à la mémoire de Madeleine Rébérioux (1920-2005) que j ’eus la chance de rencontrer en juin 1986.
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