dimanche 5 juin 2011

Mexafrica 4e partie : mexica mfecane chapitre 32.

Chapitre 32

La navette Einstein venait de quitter l’espace-temps mexafricain. Un briefing se tenait dans la cabine centrale. En premier lieu, avait été abordée l’avance du Raptor de feu de Zoël Amsq qui, désormais, était doté de la faculté de se déplacer à travers toutes les déviations, si extrêmes soient-elles. Comment, dans ce cas, rattraper l’imposteur?
- Mis à part le bio translateur qui est presque au complet, un seul appareil peut nous conduire sur une Terre déviée de la nôtre de plus de 75%, le Baphomet! Faisait le capitaine Maïakovska, refusant d’afficher son ressentiment.
- J’ai déjà anticipé cela, répliqua le commandant Wu. Actuellement, le chrono vision travaille à localiser précisément et le Raptor de feu et le Baphomet. Tony s’est chargé de cette tâche sur mon ordre.
- Comment va-t-il? S’inquiéta à juste titre la jeune femme.
- Pas trop mal. Il souffre d’une légère amnésie. Le laps de temps concerné correspond à la possession active par Michaël de son cerveau.
- J’ai entamé une thérapie helladienne qui a fait ses preuves depuis plus de quinze mille cycles, tenta de rassurer Stankin. Le patient s’adapte rapidement. J’ai espoir…
- Le bilan n’est pas aussi noir que nous le pensions, compléta Antor. Les ultralibéraux, les Nazis, les Soviétiques et les Chinois mafieux de Sun Wu ne sont plus dans la course! Il reste l’inconnu Fouchine…
- Or c’est là justement que le bât blesse! Marmonna sombrement Fermat.
- Michaël s’est esquivé précipitamment, un peu trop peut-être… il a sans doute l’intention d’intervenir une nouvelle fois et d’anticiper…
- Moi, je ne compterais guère là-dessus! Répondit André sarcastique. Sa participation ne nous a pas été si utile, si on mesure bien!
- Je ne dirais pas cela! Objecta le vampire. Grâce à lui, nous connaissons maintenant la véritable identité de Zoël ainsi que ses motivations profondes.
Tony Hillerman, qui avait terminé ses recherches, fit son rapport sur un ton professionnel tout à son honneur vu son épuisement. On ne sortait pas indemne physiquement et mentalement d’un combat tel qu’il l’avait mené!
- Contrairement à une thèse fort répandue, le Baphomet n’a pas été détruit après le démantèlement de l’ordre du Temple par Philippe le Bel. Nous avons donc le choix: soit retourner en 1249-1250 et, avec l’aide du chevalier Philippe voler l’automate d’Arnould de Charmeleu…
- Hum! Ce serait greffer une harmonique secondaire sur une principale! Contra Fermat.
- … soit nous en emparer en 1307, juste avant l’arrestation des Templiers, soit encore suivre sa trace après l’année fatidique et décider du moment opportun pour agir!
L’ambassadeur qui, ici, jouait l’avocat du diable, reprit:
- S’emparer du Baphomet en octobre 1307! Ce serait trop dangereux! Vous y pensez sérieusement, lieutenant? Si cela vous chante de décimer les sergents d’armes de Philippe le Bel, pourquoi pas? Mais je vous garantis que le résultat serait tout à fait aléatoire!
Muet, comme en retrait, Daniel Lin écoutait. Il avait déjà pris sa décision car il disposait d’une information que ses amis ne possédaient point. Michaël avait évoqué Napoléon. Il attendait patiemment que Tony évoquât cette alternative. Parallèlement, son esprit vivait une véritable tempête. Il venait de débrider davantage encore ses facultés transdimensionnelles pour en finir définitivement avec son frère. En fait, il envisageait un plan des plus tortueux, un plan qui mettait à mal son éthique et qui ferait croire à Daniel Deng qu’il avait gagné la partie! Il instrumentaliserait la haine et l’orgueil incommensurables de son aîné ainsi que le Deus ex machina noir, le côté obscur qui, à chaque seconde, se profilait et menaçait de tout engloutir… une partie de poker, un chemin étroit qui exigeait de lui un courage au-delà de tout entendement, un abnégation qui le poussait à faire le sacrifice des valeurs auxquelles il tenait, fidélité, honneur, amour, amitié, justice et équité! Après cela, après avoir chevauché le Cavalier Noir, ne se substituerait-il pas à Lui, ne se confondrait-il pas avec Daniel Deng le maudit? Dilemme des plus cruels…
Kiku donna son avis avec son assurance habituelle.
- Moi, j’approuve l’année 1307! Les cottes de mailles ne constituent pas des protections suffisantes pour mes crocs acérés et… j’aimerais assez voir l’évolution de ce que les humains des temps passés appelaient armure!
Antor ne put s’empêcher de sourire devant tant de naïveté. Mais le vampire n’avait pas le cœur à rire. Il captait les sentiments de son ami, le combat moral que ce dernier menait. Bien que Daniel lui eût demandé de ne pas lire en lui, le mutant avait choisi de lui désobéir tout en restant à la périphérie des pensées profondes du daryl androïde. Le mur de dur acier psychique de Daniel Lin n’était qu’un obstacle tout théorique pour le mutant!
Hillerman qui, en fait n’était pas réellement chaud pour le voyage en 1307, aborda enfin les difficultés de celui-ci.
- Je rappelle que la prise du Baphomet en octobre 1307 créerait une chrono ligne non souhaitable dans laquelle le roi de France perdrait une « preuve » de l’affiliation supposée de l’ordre au Malin! Cette chrono ligne aboutirait à une guerre de Cent Ans différente où Jean le Posthume régnerait longuement. Mais alors, le royaume de France serait conquis par le roi d’Aragon Pierre IV le Cérémonieux qui, ainsi, laisserait son propre État à Charles le Mauvais, le roi de Navarre. Et le véritable homme fort de ce royaume navarro-aragonais serait le Grand Inquisiteur Nicolau Eymerich!
- Donc, nous devons renoncer…
- Je n’ai pas dit cela, capitaine Maïakovska!
- Et si nous tentions malgré tout l’harmonique de l’harmonique 1249-1250? Suggéra Geoffroy.
- Je suis… surpris! Avoua Stankin. Cela aboutirait à nous rencontrer nous-mêmes et à multiplier ainsi les paradoxes! Après tout, sommes-nous certains d’arriver dans la bulle de temps adéquate? Zoël Amsq, à ce que j’ai cru comprendre, était le responsable de ce Moyen Âge merveilleux! Or, s’il n’y a pas de Baphomet…
- Comment cela? Interrogea Irina.
- Si Charmeleu le met à l’abri et ne l’emporte pas en Terre Sainte, Ayyub ne disparaît pas et ne demande pas ma mise à mort! Donc, la dynastie des Ayyubides n’est pas renversée en 1250, mais… plus tard! Que s’ensuit-il après?
- Ce ne sont là que des spéculations! Marmotta Fermat.
- Excellence, laissez-moi achever ma démonstration, dit Stankin résolument. Il n’y a plus de pouvoir mameluk en Égypte et Louis IX que j’ai rencontré meurt captif en 1252...
- Exactement! Confirma avec force l’historien. Philippe III qui lui succède n’est alors qu’un enfançon! La régence de Marguerite de Provence se passe mal!
- Je connais cela! Toutes les régences ont leurs problèmes! De nouvelles révoltes nobiliaires éclatent! Articula Geoffroy sombrement.
- Le puissant duc de Bretagne s’allie à Henri III d’Angleterre qui a un héritage à récupérer…
- Oui, l’Anjou, l’Aquitaine, la Normandie et j’en oublie, renseigna le jeune comte rescapé du XIIIe siècle.
- Justement, enchaîna Stankin, à propos de la Normandie, le second Simon de Montfort, celui des Provisions d’Oxford, en sera le Gouverneur! Cette chrono ligne conduit à un État franco-britannique puissant qui, ensuite, se retrouvera confronté à la Castille, l’Aragon et au Saint Empire!
- Vous avez étudié la question! Remarqua Antor.
- Précisément, en convint l’Hellados. Lorsque j’utilisais le chrono vision à ses débuts, je m’intéressais à l’histoire de la Terre et explorais de nombreux potentiels et ce, dans le but de savoir si, inéluctablement, ma planète et la vôtre deviendraient les fers de lance de l’Alliance!       
- Et? Fit l’historien.
- Conclusion: il existe plus de vingt-huit trillions de combinaisons où cela arrive! C’est là une constante du Pantransmultivers! Ou presque!
- Bien étrange! Soupira le vampire.
- Intéressant, certes, mais je pense que nous sommes en train de nous égarer, dit Daniel froidement.
- Il nous faut creuser la piste du Baphomet, connaître son destin après 1307, relança le vampire qui désirait parvenir rapidement à une décision car il sentait grandir l’exaspération du commandant Wu.
- Après 1307, reprit Hillerman, l’automate connaît une histoire discontinue, un peu comme celle du suaire de Turin. On le retrouve dans une commanderie hospitalière en 1347, puis on perd sa trace avec la peste noire, pour le voir resurgir à Venise en 1400. Il serait ensuite tombé entre les mains de Tamerlan puis des Turcs et des Grands Moghols. Ainsi, sa présence est attestée à la Cour de Shah Djahan en 1629. Il s’ensuit alors une longue éclipse dans les données. Les Anglais s’en seraient emparés après la défaite de Lally-Tollendal. Il aurait été la propriété de Cornwallis lui-même qui l’aurait perdu après la capitulation de Yorktown. Depuis l’époque moghole, l’automate aurait en fait changé de nom, devenant, à cause de son turban, « El Turco »!
- Bah! Souffla Ivan.
- Bref, Van Kempelen en fait sa propriété, le restaure et…
- « El Turco » s’est métamorphosé en célèbre automate joueur d’échecs, fit rêveusement Irina. Je connais la légende.
- Ce n’est pas une simple légende! Dans l’automate un champion était en fait dissimulé, une partie seulement étant dotée de rouages et d’un mécanisme grossier destiné à abuser les crédules.
- Ce joueur d’échecs a inspiré Edgar Poe, compléta l’Hellados.
- Moui… admit Irina. Mais il aurait vaincu Napoléon lui-même!
- Nous y voilà enfin! Pensa Daniel Lin en soupirant.
- La piste que j’ai suivie et que je propose de remonter diffère quelque peu, continua Hillerman. Dans ce temps alternatif, la notoriété du joueur d’échecs a été plus tardive. Cependant, l’Empire est bien en place. Dans cette chrono ligne, Napoléon a disputé une partie mémorable avec l’automate, à Milan, en 1808.
- Certes! Fit André. Mais s’agit-il bien là du Baphomet? Reconverti en succédané mécanique! Quelle déchéance!
- C’est bien le Baphomet! Jeta Daniel Lin. Avant de s’esquiver subitement, Michaël a évoqué la personne de Napoléon. Il a dit: « Ailleurs, tout bouge… Opabinia… Napoléon… ». De plus, il a fait clairement allusion à l’Entité Entropie.
- Donc, il est logique de conclure que nous devons nous rendre à Milan juste après la défaite aux échecs de l’Empereur, articula Fermat soulagé. Mais, Daniel, vous auriez pu…
- Oui, André? Fit innocemment le daryl androïde;
- Euh… Nous avouer plus tôt que l’agent temporel terminal s’était confié à vous!
- Oh! Je fais preuve de pusillanimité depuis mon duel avec Fouchine, c’est cela?
- Je dirais que vous vous montrez cachottier, plutôt!
- Ah?
- Craignez-vous de ne plus raisonner avec logique?
- Précisément, Stankin!
- Est-ce qu’assister à la partie d’échecs compromettrait nos chances de succès? Interrogea Antor avec la volonté manifeste de détourner la conversation.
- Non, mon frère! J’ai déjà tout calculé! Notre marge de victoire reste importante, 99,99%…
- La partie fut publique, renseigna Hillerman. Elle se déroula le 12 septembre 1808. Les configurations révélées par le chrono vision indiquent que la ceinture du Baphomet est bel et bien restée sur l’automate.
- Pff! Heureusement! Émit Violetta.
- Elle était protégée par ses pseudos vêtements turcs tissés au XVIIIe siècle. En fait, elle fut scindée en deux tronçons par van Kempelen puisque le baron a dû mettre en place la cache de son champion ainsi que les faux engrenages.
- Voler l’automate ne s’avèrera peut-être pas nécessaire, après tout! Suggéra André. Nous pourrions nous contenter de déshabiller le Baphomet et d’appuyer sur le symbole opabinien!
- André, dit Daniel Lin mécontent. (le daryl se retint juste à temps de rajouter: vous proférez une sottise!).
Antor, lui, avait eu le temps de capter cette pensée. Il observa plus attentivement son ami et sa mine se renfrogna.
Plus calmement, se contrôlant, le daryl reprit:
- Pardonnez-moi, André, mais vous oubliez un élément fondamental. Actionner le symbole désiré serait insuffisant! Manque de précision temporelle malgré les capacités trans univers. Non! Nous télé porterons le Baphomet à bord de l’Einstein puis nous le couplerons à nos moteurs trans distorsionnels
- Oui, mais il s’agit là d’un montage des plus délicats, siffla l’ancien ingénieur.
- Je vous fournirai mon aide technique…
- Merci, Daniel.
De son côté, le vampire regardait son ami et tentait un contact mental avec lui. Mais le commandant se déroba.
- Antor, retire-toi au plus vite!
- Soit! Quel jeu joues-tu?
- Il n’est pas temps que tu le saches! Je dois mener cette partie seule!
- Au risque de perdre ton âme?
- Je fais cela pour vous préserver tous!
- J’accepte de te croire. Je serai toujours présent pour toi, Daniel Lin…
- Je le sais, mon frère, et je t’en suis reconnaissant.
- Une dernière chose, fit l’historien à haute voix. Le chrono vision a dévoilé que Shah Djahan fut la dernière personne à appréhender les propriétés réelles du Baphomet; ainsi, il appert qu’il tenta de multiples retours dans le temps afin d’empêcher la mort de sa bien-aimée, Mumtaz Mahal!
- Oh! Comme c’est romantique! S’écria Violetta émue.
- S’il avait réussi, le Taj Mahal n’aurait jamais vu le jour! Asséna Ivan.
- Y a-t-il un risque de greffe d’une nouvelle chrono ligne? S’enquit Irina.    
- Nous allons assurément atterrir dans une harmonique déjà déviée! Répliqua le commandant Wu. Or, il vaut mieux que vous le sachiez tous, Johann van der Zelden s’y trouve en compagnie d’un individu fort dangereux.
- Fouchine? Hasarda Fermat.
- C’eût été grandement préférable, André!
- Comment savez-vous cela? Reprit l’ambassadeur soudainement inquiet du ton sinistre du commandant.
- J’ai pris le risque de totalement débrider ma transdimensionnalité! Je suis avec vous physiquement, certes, et mentalement, mais également, là-bas, et… ailleurs, dans les passés et tous les futurs, auprès de Michaël, de Mathieu qui discute avec le Grand Ensemenceur… avec un Empereur Fu, noir comme les plus grandes et insondables ténèbres… Je valse avec l’Entropie, une danse de Mort qu’il me faut conduire et dominer…
- Daniel! Seigneur Dieu! Se récria Irina. Tu vas perdre ce qui, en toi, m’est le plus précieux!
- Mon Humanité, Irina! J’en ai une conscience si aiguë que cela me fait souffrir au-delà du possible! Pour l’instant, je résiste aux sirènes de la tentation. Voilà qui explique mon impatience, mon irritation, depuis le début de ce briefing! Voilà pourquoi j’ai interdit à Antor de fouiller mon esprit! Pour le préserver de la folie!
Le premier, Stankin, fit taire le tumulte de ses sentiments, de sa désapprobation.
- Pour permettre en toute sécurité le déplacement dans les temps déviés extrêmes, il serait bon que le Baphomet fût couplé à la mandorle, commença-t-il.
- Stankin, étant débridé, je ferai office de mandorle! Puisque nous savons quand, où et comment agir, allons-y!
Tous se levèrent avec un bel ensemble, avec une tâche définie à accomplir. Toutefois, avant de rejoindre son poste, le capitaine Maïakovska prit tendrement la main droite de son mari et, en signe d’affection, la porta à ses lèvres.
- Le sacrifice est immense! Soupira-t-elle.
- A la hauteur de l’enjeu!
- Sauver le Pantransmultivers de ton frère!
- Avant tout! Oui! Mais il me faut empêcher que cela ne se reproduise ailleurs, avec d’autres protagonistes…
- Il est donc condamné?
- Daniel Deng s’est condamné tout seul! Depuis l’aube des temps! Il mourra! Non pas de ma main mais sous le poids de ses fautes. À défier l’Entropie, on risque l’anéantissement. Un pas de deux, un duo, et puis… pfut! Plus rien!
- Je comprends! Lui n’a pas Michaël pour le soutenir, l’empêcher de se tromper de chemin…
- On peut dire les choses comme cela! Il n’a aucun amour dans le cœur! Il n’a que la haine!
Lentement, posément, Daniel Lin lâcha la main d’Irina, comme à regret. Il devait se préparer pour le prochain saut quantique.
Intérieurement, celui que l’IA des Olphéans nommait le Révélateur pensait:
- Je n’ai pas assez appris… n’est-ce pas trop tôt? Bizarre ces fragments incontrôlés qui me viennent à l’esprit… Là-bas, tout n’est pas joué d’avance, bien au contraire! Et j’ai peur! Terriblement peur! Or, je dois le dissimuler! Tous comptent sur moi! Ne les décevons pas! ».

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Notre groupe de tempsnautes avait sans difficultés remonté la piste du Baphomet et se retrouva donc au palais ducal de Milan, le 12 septembre 1808. Chacun arborait une tenue Empire des plus conformes. Irina était cependant, comme à l’accoutumée, la plus éblouissante. La jeune femme sentait la grande dame d’une lieue. On voyait qu’elle n’avait pas volé son titre de Grande Duchesse. Elle portait une longue robe à taille haute qui lui seyait à merveille. Tout le tissu, arachnéen, était brodé de roses où le lierre venait s’entrelacer avec le plus bel effet. Sa gorge splendide s’ornait d’un collier sans prix où les saphirs les plus remarquables alternaient avec les diamants à l’eau la plus pure. Les boucles d’oreilles assorties affinaient encore son port de tête digne de celui d’une reine authentique! La jeune femme n’avait pas omis un diadème discret dans sa chevelure rousse naturelle. Cette tenue magnifique était complétée par des gants très longs, blancs, il va de soi, des bas de soie couleur chair et de délicates chaussures au cuir souple et fin, à talons plats.
Franz, comme de bien entendu, ressemblait à une gravure de mode, avec un parfait habit de cour à la Metternich où, une fois encore, le blanc dominait. Il y avait évité d’y adjoindre des décorations auxquelles pourtant il avait droit mais qui auraient pu fâcher l’assistance! Daniel était son pendant dans un habit bleu de roi et une chemise à jabot de dentelles.
Geoffroy se faisait passer pour un comte des Marches de Bohême et respirait, lui aussi, le grand seigneur! Violetta, à son grand dam, avait dû se contenter de jouer la soubrette. Vexée, elle avait failli refuser ce rôle, mais se mirant dans une glace, elle avait enfin convenu que le costume lui allait à ravir et souriante, avait effectué une révérence exemplaire devant sa tante. Ivan et Pacal, en simples valets de pied, n’étaient guère mieux lotis.
Tony Hillerman, malgré sa couleur de peau, en imposait! Il avait pris l’identité d’un ministre plénipotentiaire de la toute jeune République d’Haïti!
Antor, Kiku et Uruhu, trop exotiques, manquaient à l’appel. À bord de l’Einstein, ils devaient superviser la réception du Baphomet, prêts à toute éventualité : intervention de Fouchine, métamorphosé en Commandeur Suprême, manifestation des p, ou encore apparition de Johann en personne!
Violetta avait demandé pourtant à ce que le K’Tou ne fût pas mis à l’écart et revêtît la défroque d’un soldat Cosaque du Tsar Alexandre Premier ou encore, à la limite, celle d’un hussard hongrois! La métamorphe ne doutait de rien! Mais Daniel l’avait vertement grondée pour son inconséquence et l’adolescente avait boudé dans son coin
une dizaine de minutes, pas plus!
Fermat, qui se contentait d’un emploi modeste, celui de l’intendant de Geoffroy, avait envisagé pour Uruhu un poste de palefrenier. Poliment, le Néandertalien avait refusé, rappelant combien il n’était guère à l’aise avec les chevaux qu’il nommait «  mehnghou ».  
La partie d’échecs historique venait d’être annoncée. Près de Daniel et d’Irina, il restait deux sièges vides qui furent occupés au dernier moment peu de temps avant que l’Empereur fît son entrée et demandât à Van Kempelen de lui montrer les « entrailles » de l’automate. Ainsi, il s’assurait qu’il n’y avait aucun trucage. Enturbannée et peinturlurée, comportant également une paire impressionnante de moustaches, la tête du Baphomet était à peine reconnaissable. Vêtue à l’orientale, la machine avait, glissé sur la main gauche qui manipulait les pièces, un gantelet de fer.
Les deux retardataires qui prirent place dans la semi pénombre pouvaient passer pour des jumeaux. Même corpulence, mêmes cheveux bruns coupés à la Brutus, mêmes yeux couleur de nuit!
Au fond de l’immense salle, se tenant droite près d’une table dressée supportant des rafraîchissements, Violetta retint à grand peine un hoquet de surprise.
«  Mais c’est mon ancêtre! Le maléfique comte Galeazzo! Par le Dieu de mon père, que je sache, il n’était pas né en 1808! ».
L’adolescente eut tout juste le temps de prévenir mentalement son oncle. Déjà, le deuxième jumeau, autrement dit Johann van der Zelden, tout en s’asseyant, abattait quelques unes de ses cartes. Riant discrètement avec un ricanement qui vous donnait l’envie de vous précipiter aussitôt dans le vide du Grand Canyon, il murmura à l’oreille du daryl androïde:
- Commandant Wu, comme le Pantransmultivers est petit! Je vous laissais tantôt au cœur d’une bulle atemporelle et vous revoici ici, dans ce 1808 à ma façon! Je pourrais penser que vous me traquez! Seriez-vous une nouvelle fois en train d’ahaner afin de rétablir votre chrono ligne? Si c’était le cas, vous feriez preuve d’une étroitesse d’esprit tout à fait décevante! Non… Je me trompe! Je flaire désormais en vous quelque chose de redoutable! Vraiment! Vous avez progressé. Ou qui sait? Régressé! Vous avez l’odeur et le goût du Neutre, vous ressemblez au Neutre, mais vous avez choisi et vous avez abandonné cette illusion. Aie! Que cela fait mal de franchir la frontière, n’est-ce pas? Mais… dans quel sens? That is the question!
Daniel Wu préféra ignorer les sarcasmes de l’Américano hollandais. Il devait conserver son contrôle à tout prix! Il pouvait abattre cet histrion, il s’en sentait tout à fait capable… mais là résidait le piège engendré par un orgueil immense, un surmoi si développé qu’il vous faisait basculer dans un tourbillon au fond d’un gouffre d’où il était impossible ensuite de revenir!
Lorsque Napoléon avait effectué son entrée, toute l’assistance s’était levée et avait salué bien bas l’Empereur, celui qui se voulait le maître d’une Europe à son image. Violetta avait remarqué un détail bizarre, un de plus nous direz-vous. La plupart des officiers français portaient une arme saugrenue vu le contexte.
- C’est drôle! Chuchota la jeune fille à l’oreille de Pacal. On dirait bien qu’ils ont des colts glissés à la ceinture!
- Oh! Tu ne te trompes pas! Répliqua placidement l’Amérindien.
- Euh… être armés en présence de l’Empereur? Cela pue le coup fourré!
- Une harmonique parallèle… suggéra Ivan.
-Ouais! Le colt n’existait pas en 1808! Du moins à ma connaissance!
Pendant cet échange, Van Kempelen s’était adressé à l’assistance tour à tour en français, en allemand et en italien. À la demande de l’Empereur, il démonta une nouvelle fois son automate, l’ouvrant sur le côté, révélant ainsi son mécanisme. Puis, solennellement, il tourna la clé qui mettait en branle El Turco. Celui-ci commença à cliqueter, ce que tous ou presque attendaient inconsciemment, tout en retenant leur souffle.
La partie d’échecs historique put enfin débuter. La diplomatie voulait que Napoléon Premier gagnât.

***************

La partie durait déjà depuis deux heures. L’Empereur était en difficulté. Depuis longtemps, il n’avait affronté un adversaire si déterminé et si tenace qui ne lui faisait aucun cadeau. Insensible aux règles de l’étiquette, le champion mécanique annonçait avec la régularité d’un métronome échec !, ceci à chaque coup perdu par le souverain impérial. Le haut personnage, d’abord agacé, puis très en colère, commettait faute sur faute. La défaite s’annonçait inéluctable.
- Il joue comme un manche! Marmonnait Geoffroy à l’oreille de Fermat.
- Tout à fait! Lui répondait l’ex-commandant d’un ton neutre.
Comment l’Empereur allait-il s’y prendre pour ne pas perdre la face devant un parterre aussi prestigieux? Il s’agitait de plus belle, se rendant compte de quelque chose d’étrange dans son adversaire mécanique impavide. Enfin, n’y tenant plus, il se laissa dominer par la colère, une colère qu’il estimait justifiée! Le souverain était certain maintenant d’avoir été trompé, que la science mécanique de Van Kempelen n’était qu’un leurre! En effet, Napoléon connaissait trop les hommes pour savoir quels vils courtisans ils pouvaient être!
Sa résolution prise de dévoiler la supercherie, l’Empereur attendit donc qu’El Turco prononçât le fatidique « mat » pour agir. Lorsque cela arriva, l’automate grinça, tictaqua puis s’immobilisa, son rôle apparemment achevé.
Un silence de mort gagna l’assemblée. Alors, Napoléon se redressa subitement et renversa brutalement l’échiquier! Les pièces roulèrent et s’égayèrent sur un lourd tapis ainsi que sur le carrelage en marbre. Se tournant vers le public médusé, le souverain impérial s’écria:
- Tout ceci n’est qu’un tour destiné à abuser les âmes simples! J’ordonne l’arrestation immédiate du baron Van Kempelen. Soldats, saisissez vous de lui ainsi que de son automate et mettez-les sous bonne garde! Je statuerai plus tard sur le sort de cet escroc!
Comme à la parade, les grognards, commandés par des officiers aux colts anachroniques, vinrent se saisir du baron qui tentait de s’esquiver.
Daniel et ses amis assistèrent à l’arrestation sans intervenir, attendant l’instant propice pour s’emparer du Baphomet. Tandis que Napoléon restait à sa place, Galeazzo di Fabbrini rejoignait le souverain. Auprès de lui, il jouait le rôle de conseiller secret, une sorte d’éminence grise, certes, mais aussi, au-delà de la vulgaire fonction de factotum, celle beaucoup plus intéressante de stratège militaire et de fournisseur d’armes spéciales, des armes fort avancées pour ce début du XIXe siècle, tellement même qu’elles donnaient naissance à une nouvelle chrono ligne!
Lorsque l’automate fut saisi, des soldats le transpercèrent de leurs classiques baïonnettes. Aussitôt, et très inattendu, un être étrange et de petite taille jaillit d’une cloison qui venait de s’ouvrir à la base. Le champion d’échecs, le vrai, essayait de s’échapper! À première vue, il s’agissait d’un nain, mais l’inconnu dissimulait ses origines extraterrestres par le port d’un masque aux traits humains. Malgré cela, Daniel Wu identifia facilement un porcinoïde. De taille réduite, les Marnousiens possédaient une caste de scientifiques et de mathématiciens de premier ordre. Touts étaient dotés de prodigieuses capacités mentales. Notre champion se nommait Nourik. De la même famille que le célèbre Kontiko, le premier xéno physicien ayant découvert les tunnels trans distorsionnels il avait dû s’égarer dans le temps  - un égarement provoqué en fait par les manipulations de Johann van der Zelden - et avait été ensuite recueilli par Van Kempelen. Celui-ci, voyant là une aubaine, avait dissimulé le groin et les traits porcins du personnage, devenu son obligé et son esclave, par un masque de cire. Les incroyables facultés du Marnousien n’avaient pas échappé au baron et Nourik qui pratiquait une quinzaine de langues humaines n’avait pas eu le choix. Pour survivre sur cette Terre hostile,  il avait dû se plier à cette mascarade.
Ce qui restait du Baphomet, l’essentiel pour notre groupe, avait été entreposé dans une écurie. Ce fut un jeu d’enfants de pister l’engin et de le retrouver. L’Entité laissait donc le champ libre au daryl androïde et à son équipe! Pourquoi? L’appareil qui faisait office de portail menant à d’autres mondes était sous la surveillance d’une dizaine de gardes fortement armés- pistolets et fusils munis de platines à percussion et dotés du chargement par la culasse, un progrès - colts mais aussi mitrailleuses de type Gatling! Ces hommes sans reproche, assommés par les traits de feu des disrupteurs à la puissance minimale ou encore par les prises helladiennes, n’offrirent qu’une piètre résistance aux tempsnautes.
- Trop facile! Marmonna Geoffroy en pénétrant d’un pas circonspect dans l’écurie.
- Oui! Je m’attends à tout! Lui souffla Violetta. Galeazzo dans la partie, cela signifie que tout peut arriver! Des horloges tournant à l’envers, des créatures empaillées qui  vont nous attaquer, des monstres à la Viktor Frankenstein surgissant de la mangeoire par exemple!
- Arrête! Tu me donnes la trouille! Trembla Pacal.
- Au lieu de bavasser, dépêchez-vous! Ordonna Fermat.
Maintenant, il ne restait plus qu’à entrer les coordonnées du Baphomet en vue de la téléportation et à donner l’ordre de quitter les lieux au plus vite, lorsque ce qui était tant redouté par la métamorphe survint! Johann et Galeazzo apparurent brusquement, comme surgis du néant, perturbant les ondes de dématérialisation du portail.
- Vous nous attendiez, je pense! Fit le comte di Fabbrini pince-sans-rire.
- Ah! Vous daignez enfin vous manifester! Répliqua Franz qui, instinctivement, s’interposa entre Daniel Wu et Johann.
- Cher Neutre du XX e siècle, que tu veux une fois encore servir de bouclier à celui qui n’est plus tout à fait… humain! Daniel Lin n’a nul besoin de ta protection.
- Johann, tu es capable de toutes les roublardises! Tu es le mensonge! Je le sais et tu le sais! Et tu crois avoir trouvé un pantin à ta mesure!
- Un pantin? S’écria Galeazzo mortifié. Qui ose ainsi me traiter de pantin? J’ai réussi l’impensable! J’ai donné vie à la huitième merveille du monde alors que tu n’existais pas encore, le Bavarois!
- Certes, fit Daniel très maître de lui. Tout cela est vrai. Mais Sarton vous y avait un peu aidé, non? Puis, pris de remords il a enfermé l’Homunculus dans le seul lieu capable de le contenir, dans un cube de Moebius conceptualisé, s’étendant dans toute la Réalité du Pantransmultivers! Dans les Seize Dimensions! Oui, j’admets que vous êtes un bon tâcheron. Mais le génie, c’est Sarton!
Hillerman était sur des charbons ardents.
- Quel jeu joue le commandant? Se demandait l’historien. On dirait qu’il cherche à humilier le comte di Fabbrini. Pourquoi?
- Parce que je ne veux et ne peux m’attaquer physiquement à Johann! Lui lança le daryl androïde mentalement. Ce serait une faute impardonnable. Il me teste et n’attend que cela!
- Comment?
- il veut voir si je suis capable de me contrôler; il veut voir si je résiste à l’aimant d’un pouvoir inouï. Si je parviens à réfréner, à combattre les aspects négatifs de ma personne, il est certain qu’il échouera à m’influencer! Il ne peut avoir de prise sur moi que si je succombe! Désormais, je suis doté de la faculté non seulement de voyager librement dans toute la Création mais également de devenir à mon tour un Créateur. Selon mon caprice, je puis me démultiplier à l’infini, casser, détruire le Pantransmultivers et le recomposer, le façonner à mon image!
- Ah! Mais si vous succombez?
- Il me lie, m’absorbe et m’anéantit! Or, il n’en est pas question!
- Oh! Tu as donc saisi ma stratégie! Éclata de rire Johann. Bravo!
- Vous n’avancez pas masqué, van der Zelden! Bien au contraire!
- Qu’en sais-tu? Tu es trop novice pour appréhender tout ce dont je suis capable!
- Quoi que vous fassiez, vous n’obtiendrez pas de moi ce que vous désirez!
- Avoue donc que tes cellules brûlent, tes oreilles chantent sous l’appel des divines opportunités!
- Personne ne vous a jamais appris à la fermer? Hurla Fermat qui cédait à la colère.
- André, ne soyez pas le maillon faible! Jeta Franz placidement. Van der Zelden a été battu maintes et maintes fois par son opposé, Michaël.
- Je l’admets! Rétorqua avec aplomb l’intéressé. La dernière fois, lorsque je basculai du parapet, l’ami Michaël, le parangon de la vie, s’en mordit les doigts ou ce qui lui en tenait lieu! À la minute précise où je disparaissais de la chrono ligne conduisant à la Grande Catastrophe, il subit, ô stupeur, le même sort!
- Oui! Mais vous vous retrouvâtes tous deux liés dans l’énergie primitive! Asséna Daniel Lin.
- Tout à fait! Or, me voici de retour! Prêt à en découdre une fois de plus! Cependant, je suis déçu! Michaël pratique l’esquive, se cache derrière des bouffons! Il me… craint!
- Des bouffons! Ce type nous qualifie de bouffons! J’aurai tout entendu ce soir! Gronda Fermat.
- Laissez éructer ce triste sire. Recommanda le duc. Il finira par se lasser.
- A la fin, je ramasse toujours la mise, Franz! Tu le sais!
- Ne peut-on en finir avec ce pot de colle? Demanda Geoffroy. Va-t-il se décider à disparaître? A nous tuer?
- Je pense que ce n’est pas là son but immédiat! Souffla Irina.
- Oui… On dirait qu’il cherche à gagner du temps, à couvrir ses arrières, constata et comprit Hillerman.
- Précisément, Johann agit sans doute ailleurs, fit Stankin qui participait à la récupération du Baphomet.
- Alors, Daniel Lin Wu, n’as-tu rien à dire sur la dernière manche que tu perdis tantôt face à ton jumeau?
- Johann, une bataille ne s’achève que lorsque le dernier coup de canon a été tiré! Or, ici, ce n’est pas le cas!
- Sais-tu, très cher, que je ne suis que partiellement responsable de l’existence de cette civilisation mexafricaine qui t’a tant donné de fil à retordre?
- Pourtant, commença André, avec une religion pratiquant les sacrifices humains, j’aurais pensé le contraire! Vous deviez vous y mouvoir comme un poisson dans l’eau! Un monde à votre convenance, à votre semblance! Hideux et mortifère!
- Hélas! Présentement, il est condamné! Il n’a plus son utilité! La civilisation mexafricaine résulte en fait d’une bourde commise par ce sacré et inimitable Nitour Y Kayane, mon homme robot bantou que vous avez rencontré ailleurs et jadis sous les traits de Lothar!
- Pff! Il était tout à fait ridicule vêtu comme il l’était! Pouffa Violetta.
- Jeune métamorphe, inutile de me mentir! Vous n’aviez d’yeux que pour ses muscles!
- Ah! Violetta di Fabbrini Sitruk! Soupira Galeazzo. C’est ça, ma descendance? Je me sens diminué, là!
- Oh! Vieille brebis galeuse, mouton noir, reste poli! Depuis que les di Fabbrini on frayé avec les métamorphes, tu ne nous apparais plus que comme un histrion! Chez nous, désormais, les génies, ce sont les femmes! Et, apprends, mon oncle, que je ne te crains pas! Toutes tes machinations n’ont abouti qu’à cela: une pitoyable chute dans un ravin!
- J’en suis sorti, ma nièce!
- Pas tout seul, mon oncle!
Hillerman, sa curiosité éveillée, reprit la direction de cette conversation qui semblait s’éterniser. Mais qui tenait véritablement les rênes? Qui s’amusait?
- Comment votre homme bionique peut-il être à la source de la Mexafrica? La mort ne peut créer ou alors je me trompe!  
- Justement! J’ai besoin d’intermédiaires, le Commandeur Suprême, celui qui sait, les hommes robots! Nitour a détruit trop tôt le cube identificateur de Kongo Moussa ce qui a entraîné le succès pour l’expédition maritime de pirogues d’Abou Bakari II, en 1311. Bravo donc, pour le roi mandingue et pour la période ayant précédé immédiatement celle de Kongo Moussa! À tout cela s’est rajoutée une minuscule perturbation du continuum spatio-temporel avec le « malencontreux » greffon d’une Antiquité dévoyée où Perses, Étrusques et Carthaginois l’avaient emporté sur les Gréco-romains!
- Ainsi, dit Daniel sarcastique, vous expliquez l’existence de la Mexafrica uniquement à cause d’une erreur d’un de vos sbires? Un peu fort, non? Vous n’aviez pas prévu cela? À qui voulez-vous faire croire une telle fable?
- Je ne prévois pas, ex-futur Neutre! Je sais! Pour moi, tout est à la fois, simultanément! Je vois tout! Force toi à faire de même si tu veux me vaincre!
- Ce n’est pas là le but que je recherche. Vous lisez en moi et je ne puis rien vous celer!
- Hum… Un cube de Moebius…Sarton, mort… mais…
- Que dit donc Johann? S’inquiéta Geoffroy.
- Je t’expliquerai en quoi consiste un cube de Moebius, je te décrirai ses capacités, fit Violetta. J’essaierai de rester simple.
Cependant, sous les yeux incrédules des tempsnautes, l’Entité négative disparut de cette réalité-ci, leur abandonnant un Baphomet tout à fait fonctionnel. Avant de rejoindre l’Ennemi, le Maudit lança:
- Dans ce 1808, vous voyez en œuvre ma conception de ce que doit être le Monde! Et celui-ci vous prendra tous dans ses rets, Daniel Grimaud, André Fermat, Irina Maïakovska. Oh! Alors, vous souffrirez, vous vous débattrez pour échapper à cette toile!
- Ils nous laissent, ils nous abandonnent! Ça alors! Ils ont peur de nous ou quoi? S’interrogea Ivan. Je dois rêver!
- Je pense le contraire! Quelque chose d’indicible se trame ailleurs! Et le piège doit être imparable! Soupira André.
- J’en tremble, renchérit Irina. À côté de ce Johann, Zoël Amsq ressemble à un enfant de chœur et Sun Wu au plus grand des naïfs!
- Depuis toujours, nous ne sommes, nous, les humains, que des pions, des cavaliers ou des fous sur cet échiquier transtemporel qu’est le Multivers! Conclut Franz amèrement.
Daniel acquiesça d’un simple hochement de tête. Il semblait préoccupé, ailleurs.
- Puisque nous disposons du Baphomet, autant l’utiliser! Suggéra la métamorphe.
- Oui, pour nous précipiter précisément là où Johann nous attend! Marmonna Geoffroy.
- Avons-nous le choix? Dit Stankin.
- L’avons-nous jamais eu? Ajouta le duc.
- Non! Répliqua durement le daryl androïde. Je puis toutefois vous affirmer que l’Ennemi a renoncé à m’influencer car il a trouvé une proie de substitution: mon frère Daniel Deng!
Un silence pesant s’établit tandis que le transfert avait lieu vers l’Einstein. La partie finale avait commencé et le perdant verrait sa défaite si immense que tout le Pantransmultivers en sortirait bouleversé.

***************

Ainsi, le Baphomet put donc être téléporté et installé. Pourquoi Daniel Wu ne faisait-il pas profiter ses amis de sa transdimensionnalité, nous direz-vous? Cela aurait été tellement plus simple! Mais ce don, si c’en était bien un, mettait la vie des humains normaux en danger, s’ils se trouvaient à l’intérieur d’un tunnel transdistortionnel sans protection aucune. Déjà, permettre à la navette Einstein de franchir les interstices entre les mondes, alors qu’elle ferait à la fois office de vaisseau et de bouclier ne serait pas sans risques!
En attendant, le Baphomet fut relié à l’IA du bord et au commandant Wu lui-même, passé en mode ordinateur. Son cerveau positronique avait été connecté à l’Intelligence artificielle.
En pressant le symbole de l’Opabinia d’un geste sûr, le daryl androïde ordonna également l’établissement de la « vitesse » supra hyper luminique 17, soit la pleine puissance, tout cela d’une voix sans timbre.
Alors, le vaisseau entama un fantastique voyage, un périple inimaginable dans lequel tous les passagers furent sévèrement secoués à travers les méandres tubulaires labyrinthiques, bien que les compensateurs inertiels fussent opérationnels à 200%! Les boyaux s’enchaînaient et s’enchaînaient encore, en avant et en arrière, dans des coudes, des renversements brutaux. La navette cahotait à l’intérieur de bifurcations incroyables et indescriptibles de l’Histoire de la Terre et de son Vivant avant de repartir de l’avant, une fois atteinte la ligne d’évolution adéquate, celle qui avait entraîné le triomphe des Opabiniens et de leurs descendants au sein d’un Univers dévié de plus de 75% par rapport à celui qui nous était habituel et ce, en deçà!
« Auparavant », le Raptor de feu de Zoël Amsq avait connu la même fabuleuse aventure mais sans le Baphomet, le couplage du bio translateur avec l’IA et les moteurs suffisant amplement. En quittant la Mexafrica Sir Charles Merritt avait été scandalisé. Des sentiments de sa part? Non! Tout simplement du pragmatisme!
- Zoël, que faites-vous? Nous sommes en train d’abandonner nos hommes, notre flotte de combat, notamment les appareils volants de nos mercenaires du XX e siècle! Jamais les vaisseaux spatiaux de vos Haäns ne pourront nous suivre sans le recours du bio translateur dans le déplacement spatio-temporel impensable que nous allons entreprendre! Nous nous retrouverons isolés et, en cas de coup dur, nous ne pourrons alors compter que sur nous-mêmes!
- Oui! Mais nous sommes de taille! Que les autres se débrouillent!
- Il y a peu vous avez reconnu que les Raptors ordinaires sont peu résistants, uniquement conçus pour la bataille. Certes, ils sont dotés de la capacité d’occultation mais ils ne peuvent dépasser, lorsqu’ils sont en déphasage, la vitesse supra luminique 4! Cette vitesse use beaucoup d’énergie et l’occultation aussi!
- Les cristaux d’Orona n’ont pas la faculté de régénération! Est-ce ma faute? Je ne suis pas Daniel Lin, moi! Tchang Wu n’a pas voulu que je fusse un génie! Il m’a toujours ignoré, méprisé! Sous le fallacieux prétexte qu’il était trop pris par ses recherches, ses conférences, ses cours! Ma mère, de même! Et, pour montrer que j’existais, désespérément, je ne savais plus quoi inventer! Je voulais un vaisseau-scout à dix ans? Hop! Le lendemain, je l’avais! Je volais des plans d’IA? Et allez donc! Le soir du délit, Tchang venait me chercher au centre de détention et me payait un voyage touristique cinq étoiles jusqu’à Marnous! Je passais huit jours à m’enivrer et à tout casser dans les bars crapuleux de Mondani et le matin après ma virée, j’évitais d’un poil les travaux forcés sur la planète Shôther IX en terraformation! Franchement, était-ce de l’amour que de me récompenser pour les sottises les plus graves que je commettais? J’appelais au secours et aucun de mes deux géniteurs ne comprenait! À vingt ans, j’étais devenu une petite frappe, un trafiquant sans foi ni loi, sordide et intouchable à la fois, fort de mon impunité, me croyant immortel, brûlant la vie par les deux bouts, entouré du harem le plus exotique qui soit, à la tête d’une association criminelle redoutée. Eh oui! J’étais en relation avec toute la crapule du secteur NV24, sur plus de soixante parsecs. Je perdais le sens de la mesure, frimais tant et plus et fus abattu en plein vol par mon propre bras droit et complice qui ambitionnait ma place! Je n’avais pas su voir venir le coup! Ce traître avait passé un accord avec les Mondaniens. Oh! Évidemment, il me succéda! Il régna sur la pègre deux ans, deux longues années. Revenant du futur, je me vengeais, le dépeçais et dévorais son cœur! Voilà donc qui je suis en réalité, moi, Daniel Deng Wu! Alors, des scrupules? Des états d’âme? De la… compassion? Mais vous plaisantez, Merritt!
- Par Satan! Vous m’avez menti! Et ce, depuis le début! Et vous m’avez entraîné dans votre histoire de vengeance personnelle! Vous n’êtes pas un descendant des Atlantes! Encore moins un Haän!
- Eh oui! Vous le machiavélique professeur de mathématique Charles Merritt, vous qui inspirerez Conan Doyle, je vous ai roulé! Ah! Si vous désirez quitter mon vaisseau maintenant, vous êtes libre de le faire!
- Vous m’avouez tout cela devant vos hommes? Et ils ne se mutinent pas? Ils n’en informent pas votre Empereur Tsanu XV?
- Sir Charles, je n’ai pas de maître! Hurla Zoël, hors de lui. Mes guerriers ne comprennent pas l’anglais classique! De plus j’ai pris soin de brouiller le traducteur universel. Vous n’avez plus qu’à apprendre la langue de la huitième caste Haän pour être compris et retourner ces chiens fidèles!
- Vous êtes fou! Totalement!
- Vous aussi! La soif de puissance qui vous possède est aussi forte que la mienne; vous voulez une part du gâteau qui se présente à nous grâce à toutes mes manœuvres! Vous l’aurez si vous restez et vous taisez!
- Comment puis-je croire en votre parole puisque vous n’en avez pas?
- Un risque à courir! Après tout, vous en avez l’habitude! Au fait, Tsanu XV, très cher, connaît ma véritable identité! Il n’est pas dupe non plus! Je le sers, mais en partie! Et il se sert de moi! Chacun est conscient de ce gentleman agreement provisoire! Le dernier coup sera vital pour tous! Au sens propre et figuré! Pour l’instant, je vais me contenter de commander à mes commensaux de me suivre sans occultation. Une nouvelle objection de votre part?
- Vous savez tout comme moi que cette précaution restera insuffisante!
- Mon but l’exige, Sir Charles! Le personnel des vaisseaux de mon escorte mourra glorieusement! Mais il a été créé pour se sacrifier! C’est dans les gènes des guerriers Haäns après tout!
- Tous ces navires qui vont s’étirer d’abord, se désagréger ensuite dans l’espace-temps, plus exactement dans le vortex multidirectionnel engendré par le bio translateur quel… gaspillage!
- Oh! Mais dites donc? L’âge vous a amolli le cœur et le cerveau! Ou alors, est-ce le fait de l’approche de la victoire? Vous réagissez à l’inverse des rats qui quittent le navire avant qu’il coule! Vous, vous êtes tenté de me laisser choir alors que le triomphe est là!
- Je préfère ne pas relever vos derniers sarcasmes, Zoël!
- Il vaut mieux pour vous!
Merritt se tut, liant désormais son sort à cette ordure de Daniel Deng Wu. L’Anglais venait de comprendre qu’il n’avait plus aucune porte de sortie, hormis la mort. Et il estimait que c’était bien inadéquat de quitter la scène à deux coups de la fin de la partie…
Programmé à pleine puissance par son IA dans laquelle Amsq avait rentré les coordonnées de la déviation opabinienne, le bio translateur généra à l’avant du Raptor de Feu une singularité - trou de ver - qui devait permettre le déplacement du vaisseau vers le monde terrestre dévié d’environ 75%.
Après occultation, le Raptor fut avalé par le vortex et les autres vaisseaux de guerre Haäns, docilement, tentèrent de lui emboîter le pas. Naturellement, là aussi, le déplacement fut chaotique et labyrinthique, mais Zoël avait parfaitement programmé, à la décimale près, - ceci grâce aux données fournies par le chrono vision - l’ampleur de la déviation spectrale temporelle.
On pouvait toutefois se demander comment la structure du Raptor de Feu résistait alors, qu’officiellement, elle était similaire à celle des autres Raptors Haäns. L’intégration du bio translateur au moteur et à l’IA n’expliquait pas tout. En fait, Amsq était parvenu à fusionner l’IA du bio translateur à celle du Raptor de Feu, lui transmettant ainsi les mêmes capacités, la même résistance, les mutations incessantes d’une matière recomposée en continu selon les besoins et les aléas du voyage fabuleux!
Maintenant, l’humain dévoyé, gangrené jusqu’à la moelle par un surmoi envahissant, s’occupait du pilotage tandis que Merritt attendait pour intégrer le disque mémoire volé dans la pyramide d’Ogo dans l’appareil.
Que se passait-il précisément? Le bio translateur donnait au Raptor de Feu des facultés transcendant les lois de la physique. Il était comme sublimé par une volonté supérieure, une nécessité contingente! Y avait-il donc intervention indirecte de l’IA des Olphéans qui, déjà, autrefois, avait poussé Stankin à créer le bio translateur? Ou bien s’agissait-il de Michaël? Ou plus redoutable encore, l’Ennemi lui-même?  
Comme prévu, les Raptors de l’escorte furent promptement avalés par le vortex et détruits presque aussitôt. Les équipages Haäns, pris dans des distorsions contraires, impuissants à s’extirper de ce piège, connurent une fin atroce qu’ils ne méritaient pas. Étirés sur plusieurs plans spatio-temporels simultanément, en avant et en arrière, ralentissant ou, au contraire, accélérant, intégrant des hétérochronies multiples en puzzles, se combinant dans tous les êtres et les états potentiels de la matière et du vivant, ils se virent, oui, ils se virent mourir, se désagrégeant, s’éparpillant à l’infini sur tout le continuum, conscients, hélas, jusqu’au bout du phénomène, ressentant jusqu’à l’extrême limite l’écartèlement, la terrible et abominable souffrance!
« A présent », le Raptor de Feu était ballotté à l’intérieur d’un écheveau improbable de temps déviés, de civilisations potentielles, inconnues, à peine conceptualisables, sitôt évanouies qu’évoquées, dans des sphères d’une variété inouïe! Des symboles mosaïques inconcevables paraissaient se constituer justement parce que le Raptor se trouvait là, tout en se démontant, portions absolument fragmentaires et non aléatoires de temps alternatifs, bientôt revenues aux limbes alors que frôlées et abandonnées promptement. Et, chaque chrono ligne non empruntée, dans ce labyrinthe tubulaire traversé à l’envers par le vaisseau de Zoël , était aussitôt condamnée à l’effacement, parce qu’inutile.
À l’intérieur du Raptor, les membres du vaisseau s’étiraient rétroactivement en un infini qui décomposait et réassemblait leurs particules, par-delà le fameux mur de Planck. Eux-mêmes, toujours vivants, toujours conscients, toujours en possession de leur libre arbitre, devenaient une mosaïque immense, sans frontières ni limites, pixélisée en un prisme de sept, puis de douze couleurs. Puis, le camaïeu se compliqua en une infinité de teintes.
La main de Zoël, surmultipliée en tous ses âges, devenue théorie, de la cellule fécondée unique totipotente au squelette fossilisé, et états de la matière, depuis le quark jusqu’aux atomes les plus lourds et les plus éphémères, sans oublier les différents stades du vivant, tous les types de membres et appendices inimaginables, du cil vibratile à la terminaison gazeuse ou cristalline, la main de Zoël disions-nous, pilotait digitalement l’IA du bio translateur fusionnée à celle du Raptor.
Parallèlement, du disque de la pyramide d’Ogo, sortaient d’impossibles combinaisons géométriques, qui, converties en langage informatique, s’affichaient sur un écran tridimensionnel. Tout cela paraissait subitement bien prosaïque et ordinaire. Pourtant, les ADN se recombinaient bien sans cesse en une suite d’images psychotiques.
Alors, si escompté et redouté, un hologramme apparut au moment adéquat sur un plot du bio translateur un être mouvant qui symbolisait une entité protéiforme de toutes les unités de vie dominantes des mondes traversés dans le vortex, entité qui se métamorphosait constamment, jamais en repos, se remodelait continûment, ce qui prouvait que tout fonctionnait parfaitement, et se rapprochait insensiblement des « monstres » dominant la Terre pour laquelle le Raptor avait sa destination programmée. L’être affichait donc tous les âges et stades à la fois, ce qui réjouissait Daniel Deng.
«  La totipotence du bio translateur me guide en incarnant une réplique de forme de vie qui se recombine sans cesse au fur et à mesure que j’approche de mon but! Merritt subjugué par le phénomène, a perdu toute velléité sentimentale! Je pourrais me contenter de ce que j’ai déjà obtenu… mais c’est mal me connaître car je veux un triomphe sans égal, un pouvoir sans frein! Comment mon clone, Daniel Lin peut-il me rattraper et me contrer désormais? Je dois toutefois rester sur mes gardes car mon succédané possède un esprit plein de ressources! Aiguillonné, meurtri, au bord du précipice, il a dû certainement recourir à l’impensable… oui, je l’ai percé à jour! Il a débridé sa transdimensionnalité! En faisant cela, il s’est condamné! ».
Tandis donc que Daniel Deng voyageait presque librement dans le Pantransmultivers, la Vie, violée, se tordait et hurlait, ne renonçant pas pour autant à rejeter le criminel, l’assassin sans scrupules. Le mécréant allait périr, regretter son délit monstrueux. Acculée, n’ayant pas d’autre choix, elle osa s’allier avec son Ennemie intime, l’Entropie, pour perdre le présomptueux et faquin Daniel Deng Wu! Ainsi, l’orgueilleux fils de Tchang courait bel et bien à sa perte, se précipitait dans le piège qu’il avait lui-même tendu, avec le sourire, un piège qu’il avait patiemment, soigneusement élaboré et mis au point durant soixante années terrestres! Son sort, dans le Grand Livre de l’Histoire, était déjà réglé! Il était déjà mort! Il allait mourir et sa fin serait à l’aune des plus infâmes traîtres, des plus odieux tyrans et criminels des opéras italiens et des romans populaires! Un tombeau à sa mesure! Voilà ce qui l’attendait… à moins que tout ceci ne fût qu’une illusion, un scénario cauchemardé par un joueur dissimulé Outre Nulle Part…
Parallèlement aux phénomènes déjà abondamment et prolixement décrits, des symboles des différentes civilisations potentielles étaient matérialisés, à la fois à l’intérieur et hors du bio translateur. Les architectures et objets cultuels ou technologiques mexafricains du point de départ du Raptor de Feu étaient remplacés par des bâtiments et des autels de conception de moins en moins familière, et s’éloignaient davantage des fabrications humaines, primates, mammaliennes, et même vertébrées! À chaque picoseconde, l’être protéiforme se rapprochait de la famille des arthropodes, passant sans heurts de l’échinoderme à l’insectoïde, de l’arachnide au crustaçoïde!
Enfin, la réplique parfaite d’Opabinia, tant espérée, fut! Le Raptor de Feu put donc repartir vers l’avant, sûr désormais de sa route, de la chrono ligne toute droite et rectiligne. Il atteignit la version terrestre des Odaraïens. Ainsi, le valeureux vaisseau de Zoël Amsq put se rematérialiser au centre d’une extraordinaire cathédrale de moire arachnéenne, aux dentelles fractales d’une sublime beauté non humaine.
Avec soulagement, Daniel Deng désocculta le Raptor. Satisfait, il constata qu’il baignait dans un milieu semi liquide, fort épais.
La cathédrale de moire communiquait avec une immense bulle grâce à une écluse que le vaisseau franchit sans encombre. Les Opabiniens ne réagirent pas à la vue de cet intrus monstrueux, synthétique, qui, bientôt, s’immobilisa, suspendu sous la coupole de ladite bulle alors que le roi prêtre arthropoïde officiait, rendant un culte à la spore de totipotence, l’ultime pièce convoitée du bio translateur, maléfique invention ou création d’un être assurément immature ou inconséquent! Parlons-nous en cet instant de l’IA des Olphéans? Sans doute! Inhumaine, cherchant son créateur, voulant se transcender, elle avait assurément commis une faute en éparpillant ces petites sphères irisées dans tout le Pantransmultivers!
Or, à l’étonnement puis à la fureur de Zoël, l’IA de son Raptor lui signala, fort inopportunément, qu’il y avait présents sous la bulle des êtres humanoïdes, des unités carbones, maintenus prisonniers par un champ de force de protection afin de les préserver du milieu semi aqueux, ainsi que des êtres d’énergie. Daniel Deng s’exclama, ne sachant plus pour quelle attitude opter:
- Tsanu XIII, les p, les Velkriss et les Castorii sont bien au rendez-vous! Je les avais oubliés, ceux-là! Avec même ces foutus saint-bernards du Langevin! Encore un pas, un seul et ma victoire est totale, Sir Charles! Quoi qu’on en dise, je suis béni des dieux! Mes alliés vont en avoir pour leur argent!
Merritt préféra ne point répondre et enfiler, comme la garde rapprochée Haän de Zoël d’ailleurs, une combinaison adaptée à la densité semi aqueuse de ce monde. Naturellement, les armes de poing et de feu ne furent pas oubliées. L’objectif n’était-il pas d’attaquer les prêtres de Binopâa et de voler la sphère nacrée?
Sortant de la protection de son vaisseau, Daniel Deng voyait s’échapper une fumée âcre du cylindre de nacre au-dessus duquel la pince du roi maintenait la spore.
«  Fantastique! Songea-t-il, prêt lui-même à succomber au merveilleux spectacle. Il y a donc là une source chaude sous-marine, celle où vivent les vers géants à tête rouge et où se développent et prolifèrent les archéobactéries thermophiles anaérobies! Les Opabiniens savent donc que ce milieu est une des zones d’origine du vivant terrestre! La source de vie de cette planète! ».
Les p escomptaient bien que Zoël allait tromper tout le monde. Ne lisaient-ils pas dans ses pensées les plus secrètes depuis le début? Tandis qu’ils s’unissaient pour affaiblir le champ de contention, Daniel Deng risqua le tout pour le tout! Ordonnant à sa garde de rester en retrait, il osa se montrer aux Opabiniens avec celui qu’il nommait, il y a peu encore, partenaire.
Or, cette arrivée inattendue surprit Mathieu, Lorenza et Benjamin. En effet, les combinaisons des deux intrus rappelaient l’armure Asturkruk de combat; elles intégraient des défenses semblables à celles utilisées par Kraksis et consort.
Enfin, comme au ralenti, les Opabiniens se décidèrent à sévir. Ils partirent à l’assaut des deux intrus. Mais Sir Charles et Zoël eurent amplement le temps de répliquer!
Alors qu’un combat s’amorçait, un de plus nous reprocherez-vous, deux humains contre une théorie d’arthropodes, ou pseudo arthropodes surdimensionnés, la situation se compliqua car deux événements ou incidents se produisirent:
- la rupture voulue du champ de contention, rupture provoquée par les p, avec la bénédiction ou du moins l’accord tacite de l’IA des Olphéans, ce qui provoqua une ruée générale, et cette fois-ci accélérée de tous les chasseurs de la sphère;
- l’arrivée inopinée de l’Einstein au moment le moins opportun, rematérialisation cependant repérée immédiatement par le Raptor de Feu qui, aussitôt, attaqua furieusement la petite navette!
Comment donc l’Einstein pouvait-il faire le poids face à un vaisseau quarante-cinq fois plus grand au bas mot et disposant d’une puissance de feu six cents fois supérieure? Même avec André Fermat à la défense tactique, Daniel Lin au pilotage, Antor et Kiku secondant André, personne n’aurait donné un Yuan en faveur du vaisseau de l’Alliance des 1045 planètes!
Or, le commandant Wu avait capté un message mental de Mathieu, de Lorenza, de Benjamin mais également de l’IA Suprême. Cette dernière lui souhaitait la bienvenue! Tout simplement! Était-ce de l’humour involontaire?
Tandis que Stankin, André et Franz devaient se débrouiller tant faire se pouvait pour tirer la navette de la nasse, le daryl androïde, Antor et le chef de la sécurité tentèrent une sortie afin de porter secours aux otages du Langevin! Uruhu s’occupait des boucliers du vaisseau terrestre, désormais Stankin pilotait, André se démenait comme un beau diable, usant et abusant des rayons phaseurs destinés au Raptor qui menaçait l’Einstein, fragile vaisseau égaré dans ce monde hostile. Plusieurs tirs aboutirent dans l’eau.
Au sol, un désordre indescriptible, un Capharnaüm biblique! Les Opabiniens défendaient leur précieuse spore de toutes leurs pinces. Les Haäns, les Castorii et les p partaient et revenaient à la charge dès un recul temporaire amorcé. Dans cette bataille, tous semblaient oublier les membres du Langevin. Chtuh, Warchifi, Sitruk, Kutu et les autres essayaient de rester en retrait devant une IA de plus en plus indifférente. N’avait-elle pas obtenu la présence de Daniel Lin?
On le sait, Zoël Amsq abhorrait tout risque physique. Ce fut pourquoi il ordonna à Sir Charles de prendre Mathieu en otage. Puis, il émit un signal de téléportation qui fit se joindre à lui la quasi-totalité de sa garde rapprochée; or, tandis qu’il croyait triompher, son jumeau Daniel Lin se rapprochait dangereusement!

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